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Courrier de Paris

L’Illustration – Samedi 20 avril 1867

(...) Passer des Souvenirs de M. Belot à la Grande-Duchesse, c’est sortir d’un salon où l’on cause doucement au coin du feu, et entrer dans un bal qui finit nerveusement par le cotillon obligatoire.

La grande-duchesse de Gérolstein, en dépit de la seconde moitié de la pièce qui a semblé traîner en longueur, est un succès, et un grand succès. Il faut bien avouer que jamais on n’a poussé la fantaisie et la gaieté plus loin que dans ce premier acte, modèle de bouffonnerie, où l’esprit pétille et où la musique fait rage. Figurez-vous la plus adorable parodie des choses de la guerre et de la vieille politique, la charge à outrance de ces petites cours allemandes où l’étiquette gouvernait tandis que régnait quelque pâle principicule. Les diplomates y circulent graves et mornes, affichant sur leur nullité une profondeur insondable ; les généraux s’y agitent, le sabre à la main, menaçant le monde avec les cent et un fusils de leur grande armée.De petites intrigues, de petites rivalités y poussent comme l’herbe jaunie entre les pavés d’une ville de province. L’ennui est l’hôte assidu de ces palais minuscules.Tout y est pétrifié, ossifié, momifié.

M. Meilhac et M. Ludovic Halévy s’en sont donné à cœur joie dans la peinture de cette cour de la grande-duchesse Pétaud :c’est spirituel d’un bout à l’autre et vraiment amusant. La grande-duchesse est fiancé eau prince Paul, fils d’un électeur quelconque, mais elle aime le soldat Fritz, un de ses guerriers, qu’elle nomme successivement, – et dans la même heure, – caporal, sergent, capitaine, colonel et général en chef. Elle fait mieux, elle lui donne le sabre de son père, et l’envoie sur-le-champ battre les ennemis. Les ennemis sont battus. Au retour du général vainqueur, la grande-duchesse lui offre visiblement sa main ; mais Fritz préfère épouser Wanda, une simple paysanne avec qui il cueillait naguère, le long des ruisseaux, des vergiss-mein-nicht. La grande-duchesse signe au contrat, mais elle est furieuse et veut se venger. Elle songe un moment à faire assassiner, par le général Boum, le prince Paul et le conseiller Puck, ce malheureux Fritz, comme un autre Monaldeschi. Puis elle se avise, reprend à Fritz son plumet, son pompon, ses épaulettes, et épouse bourgeoisement son fiancé, le prince Paul.

Mais est-ce qu’on raconte de pareilles pièces ? Il faut les voir, il faut voir le profil niaisement timide de Grenier dans le costume blanc du soupirant officiel de la grande-duchesse. Il faut voir la tête carrée de Kopp, sous le chapeau pyramidal et la houppelande à brandebourgs du diplomate allemand. Et le baron Grog, un Talleyrand germanique ! Et les costumes de Dupuis, qu’on dirait parodiés des tableaux de gala peints par le conventionnel David pour le compte de Napoléon. Il ne m’a guère plu, Dupuis, et finit, avec son comique nerveux, ses effets de mains et de rire entrecoupé, par fatiguer son public. Il chante bien, soit ; mais il ne manquerait plus qu’il chantât faux. Mlle Schneider a deux robes qu’elle porte à ravir : une bleue et l’autre rose, sans compter sa robe blanche du second acte : – en tout un drapeau tricolore. Toute la salle, à commencer par Mme de Metternich, qui partageait l’avant-scène de gauche avec M. de Rothschild, l’a beaucoup applaudie.

De la musique je n’ai rien à dire ; mais je crois bien que les plus jolies choses d’Offenbach ont été écrites pour la Grande-Duchesse.

Et j’oubliais Couder, le plus étonnant de tous, la verve insensée, la finesse dans l’ébouriffement. Il joue le général Boum, un dur à cuire qui prise de la poudre dans un canon de revolver, qui, à table, au jeu, partout, à tout propos, tire son sabre en criant : Où est l’ennemi ? qui jure par canonnades et par massacres,brandit au-dessus d’un plumet gigantesque sa canne de tambour-major, ferait fusiller tout soldat qui a un bouton de guêtre maculé, s’il ne craignait, à la veille d’une bataille, de diminuer son effectif. C’est la plus complète et la plus belle caricature de bravache qu’on ait jamais crayonnée. A de certains moments (qu’il ne s’en fâche pas), Couder m’a rappelé Lebel.

(...)

Jules Claretie.

(...)

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