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Courrier des théâtres

Le Figaro – Jeudi 10 décembre 1874

La Haine va bien. Elle se dessine comme un très grand succès. Jugez-en : Jeanne d’Arc, pendant ses cinq premières représentations n’avais produit que 27,804 fr. 50, et les cinq premières de la Haine ont fait tomber dans la caisse 31,832 fr. 75 – soit 4,028 fr. 25 en faveur du drame de M. Sardou. L’affaire est lancée.

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* *

Nous voulions citer, pour ceux de nos lecteurs qui n’ont pas encore vu cette pièce, un des passages les plus brillants, un morceau à effet ; mais comme toutes les situations sont remarquablement belles, nous hésitions entre celle-ci ou celle-là : embarras du choix. À la fin, il faut opter – et nous publions le discours qu’Orso tient aux Guelfes assemblés sur les ruines de la vieille Seigneurie pour juger et condamner à mort les Gibelins prisonniers.

À son arrivée, Orso est accueilli avec des transports de joie. Malerba, qui préside le tribunal, lui crie
– Sois le bienvenu, libérateur !… tout le peuple salue en toi son sauveur qu’il croyait mort… Loué soit Dieu qui t’a sauvé !…

Orso, sans répondre, regarde les prisonniers et les bourreaux prêts à remplir leur office, pendant que la foule crie :
– Gloire et longue vie à Orso !

ORSO.
Voilà pour ta reconnaissance, ô peuple !… à mon tour de le prouver la mienne !… (Il monte sur les ruines de la tribune.)

TOUS.
Parle, Orso, le Peuple est avec toi, et t’écoute !

ORSO.
Donc, Siennois, à ce que j’apprends, le César Romain nous assiège ?

TOUS.
Oui !

ORSO.
Et il nous demande 50,000 florins d’or pour son départ ?

TOUS.
Oui !

ORSO.
Eh bien ! je propose, moi, de lui en demander soixante mille pour le laisser partir en paix !

TOUS, stupéfaits.
Oh !

MALERBA.
Orso, y penses-tu ?… Ta valeur t’abuse !…

SPLENDIANO.
L’armée de César est double de la nôtre, et grossit encore à toute heure !

MALERBA.
Nous ne sommes pas en force dans la ville !…

TOUS.
Non ! non !…

ORSO.
Il est pourtant un moyen de nous voir aussi nombreux dans Sienne qu’on l’est dans l’armée impériale !…

TOUS.
Dis-le donc ?…

ORSO.
C’est que la moitié de la ville veuille bien cesser d’égorger l’autre !… (Mouvement de stupeur.)

SPLENDIANO.
Épargner les proscrits ?… (Murmures d’approbation de la foule à chaque phrase.)

MALERBA.
C’est toi qui parles ?

SPLENDIANO.
Toi, leur vainqueur ?…

MALERBA.
Toi, qui les hais autant que nous ?…

ORSO.
Parle pour toi, Malerba !… Non, je ne les hais plus !… (Il est interrompu par un cri de déception plus accentué encore et reprend). Et quand je vois César menaçant dans la plaine, ma haine franchit les murs et va droit à César !…

MALERBA.
Nous le délestons autant que toi !… (Rumeurs : oui ! oui !) Mais il est le maître !… Il faut bien le payer pour qu’il parte !…

ORSO, avec force.
Assurément, ô Peuple !… si tu ne sais, à l’heure où son armée grossit, que grossir, toi, le nombre de tes morts !…

MALERBA.
Dis d’exterminer à jamais l’ennemi du dedans, pire que celui du dehors !…

TOUS.
Oui !… oui !

ORSO.
Parole infâme !… et que je dénonce, à la colère de Dieu !… (Silence.) Non, Malerba, celui qui a lutté contre nous pour une cause qu’il pouvait croire celle de la cité, n’est pas un pire ennemi pour elle que ce Roi qui ne songe qu’à la détruire !… Et je ne connais plus d’ennemis de Sienne, dans Sienne, quand je vois à sa porte, attiré par nos discordes, celui devant qui doit cesser toute querelle de famille : l’étranger !… (Mouvements divers : C’EST VRAI ! NON ! ÉCOUTEZ ! — Orso se retourne vers la foule.) Non ! ton ennemi, Peuple ! ce n’est pas (montrant les captifs) ce parti terrassé, né des mêmes entrailles que toi et nourri à la même mamelle !… C’est ce détrousseur des libertés italiennes, qui compte les minutes de notre agonie et se dit : « Ce peuple n’en a vraiment plus pour longtemps à vivre, puisqu’il en est à ce point de délire où le moribond élargit lui-même sa blessure !… » (Mouvement) Ah ! celui-là… oui, maudis-le !… exècre-le ! écrase-le si tu peux ! Tourne vers lui tout ce que tu as de rancunes, de colère et de haine !… car le voilà, l’ennemi !… le vrai ! le seul !… Et de tout ce qui est crime entre nous, il n’est rien qui ne soit vertu contre lui !…

MALERBA, violemment.
Et que veux-tu donc enfin ?…

ORSO.
Je veux, Peuple, je veux que tu ne le renvoies pas avec ton or !… Je veux que tu le chasses avec ton fer !… (Protestations ; les répliques se croisent vivement avec colère.)

LES CHEFS GUELFES.
Et où est-il, notre fer ?

D’AUTRES.
Où sont nos lances ?…

SPLENDIANO.
Nos alliés ?…

D’AUTRES.
As-tu des renforts ?…

ORSO.
Oui ! j’ai des renforts ! oui, j’ai des alliés !… (Mouvement de surprise ; il continue.) Oui !… j’ai des soldats, prêts à me suivre !…

TOUS.
Quels soldats ?…

ORSO, avec force.
… Les cinq mille proscrits de la ville !… (Il montre les prisonniers.) et ceux-ci d’abord, les plus braves !… (Orage de protestations furieuses.)

LE PEUPLE.
Les captifs ?… les Gibelins ?… Horreur !… (Tous lui montrant le poing, le menacent de leurs armes, l’insultant, vociférant à la fois). Honte sur toi, Orso ! honte !…

MALERBA.
Est-ce une Gibeline qui t’a sauvé ?…

SPLENDIANO.
Retourne aux enfers, d’où tu sors !

TOUS, envahissant la tribune et le menaçant.
Va-t-en, traître, va-t-en !…

ORSO.
Rugis, peuple !… celui-là ne t’a jamais aimé qui ne te dit pas la vérité, au mépris de tes fureurs !

MALERBA.
Arrête, Orso !… Le tribunal du peuple a décrété que celui-là qui tenterait d’arracher un Gibelin au supplice en serait puni par l’exil !…

TOUS, vociférant.
Oui, l’exil !…

ORSO.
Va pour l’exil !… et puisque c’est la rançon de ma parole, je continue !… (Murmure de stupeur ; il en profite pour reprendre avec plus de force, montrant les captifs.) Oui, Peuple, les voilà tes alliés !… prêts à oublier leur défaite, si tu sais oublier ta victoire !… Sauvez-les, tu es vainqueur et tu es libre !…. Égorge-les, tu paies tribut et tu es esclave !… Choisis donc, de périr avec eux ou de les sauver avec toi !… Et s’il en est un seul, parmi vous, qui préfère la joie de leur massacre à celle de notre délivrance, que celui-là se lève donc, pour me le dire en face !… (Se retournant brusquement vers le tribunal.) Toi, le premier, tribunal du peuple, je t’en défie. (Tout le tribunal se lève exaspéré.)

MALERBA, furieux et faisant signe aux gardes.
Pas un mot de plus, insensé ! ou cette fois, ce n’est plus l’exil, c’est la mort !… (Mouvement des gardes pour l’arrêter).

ORSO, jetant son épée à terre.
Dresse donc ton échafaud, et laisse-moi parler, tandis qu’on le dresse ! (Murmure d’admiration dans la foule ; les gardes intimidés s’arrêtent). Au nom de la mère-patrie et des ancêtres, peuple Siennois, je t’adjure de me donner ces captifs, que je les mène au combat ! Du sang de tes soldats je puis te faire une victoire ! Du sang de tes victimes, tu ne feras jamais qu’un forfait !…

VOIX NOMBREUSES.
C’est vrai !

ORSO.
Donne-les moi ! Chaque mort que tu me cèdes est un fils que je te rends, et ce que tes bourreaux y perdent, c’est la Patrie tout entière qui le gagne !

VOIX PLUS NOMBREUSES.
Oui, oui ! Il a raison ! Vive Orso !

ORSO.
Siennois ! sont-ils à moi comme un bataillon sacré voué à la mort ?

PRESQUE TOUT LE PEUPLE.
Prends-les !

ORSO.
Brisez donc leurs chaînes et leur donnez des armes !

TOUT LE PEUPLE, se précipitant pour délivrer les captifs.
Oui, oui, en liberté les captifs !… Vive Orso !…

LES CAPTIFS, s’armant.
Vive Orso !…

ORSO.
Et au combat, les proscrits ! seuls avec moi !…

LA FOULE.
Nous aussi !… Tous, tous avec toi, tous !

ORSO.
Oui, s’il n’y a plus ici ni Guelfes ni Gibelins, ni riches, ni pauvres, ni patriciens, ni artisans !… mais seulement un peuple libre, qui ne veut pas cesser de l’être !…

TOUS.
Oui, oui !

ORSO.
Et des frères ennemis réconciliés au lit de leur mère agonisante !

TOUS.
Oui, oui !

ORSO.
Debout donc tous ses fils autour d’elle, et à l’ennemi !… avec un seul drapeau, celui de la cité !…

TOUS, agitant leurs armes et frappant sur les boucliers.
Vive Sienne !…

ORSO.
Et meure, poignardé comme un Judas, celui qui pousse un autre cri de bataille !…

TOUS.
Oui, oui, vive Sienne !… (Fanfares et tambours. – Le peuple s’élance à la suite d’Orso.)

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Si cette citation ne vous donne pas envie de courir au bureau de location de la Gaîté, je renonce à vous donner jamais un bon conseil.
Jules Prével.

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