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Feuilleton du Journal des débats

Journal des débats – Lundi 31 octobre 1853

La semaine dramatique

(...) Théâtre des Variétés : Pepito, opéra-comique, en un acte, paroles de MM. Léon Battu et Jules Moineau, musique de M. Jacques Offenbach. (...)

Et comme en effet le public était en goût des mièvreries de la musique française, il n’y a pas jusqu’au théâtre des Variétés qui n’ait donné cette semaine un bel et bon opéra-comique, à l’ancienne marque avec accompagnement argentin de flûte et de tambourin. Pepito, voilà le titre de cette idylle en trois couplets dont M. Jacques Offenbach a écrit la gracieuse musique ! M. Offenbach est un bon musicien ; il commande au violoncelle, et le violoncelle obéit ! Ce sont des larmes, des plaintes, des gémissemens, des passions, des spasmes ; on dirait une âme en peine et qui s’agite au fond de l’instrument dompté. Malheureusement pour lui, M. Offenbach acceptait il y a deux ou trois ans une charge assez étrange, il souffrait qu’on le nommât, devinez quoi ? chef d’orchestre au Théâtre-Français ! Il y avait certes de quoi assommer un artiste moins heureux et moins habile,car, en fin de compte, on n’est pas chef d’orchestre au Théâtre-Français ! C’est pourquoi peut-être, et c’est la seule excuse de l’Opéra-Comique, l’Opéra-Comique n’a pas fait à la partition de M. Offenbach toutes les avances qui lui étaient dues, et notre homme en a bravement pris son parti ! Le voilà donc qui devient le Rossini du théâtre des Variétés, et qui s’acquitte à merveille de cette tâche impossible ! Il a trouvé tout d’abord un poëme, et ce poëme était fait cette fois par deux hommes d’esprit, c’est- à-dire que M. Léon Battu et M. Jules Moineau, dans cette épreuve difficile, n’ont rien à se reprocher l’un, à l’autre, que celui-ci valait celui-là, et que M. Moineau a travaillé autant que M. Battu, ce qui fait que le nouveau chef-d’œuvre n’a pas été, comme on dit vulgairement, battu de l’oiseau.

Voici la pièce ; on a fait de la très bonne musique avec moins que cela. Pepito est absent, il est bien loin l Il a laissé au village une petite Colette, une petite Denise, une amoureuse enfin, et Pepita, c’est le nom de la nouvelle villageoise, ne veut pas oublier Pepito, en dépit d’un vieux serpent de la paroisse, un vrai bedeau qui veut épouser Pepita malgré Pepito. Survient alors, dans l’auberge de l’Espérance, un nommé Miguel, un désœuvré, ce Miguel ; or le serpent Vertigo dit à Miguel : Il y a par ici un certain jupon court nommé Pepita assez vif et assez joli ; mais ça n’est pas grand’chose qui vaille ! Il faut donc que nous dînions ensemble et tu verras si je dis vrai ! — Tope là, reprend Miguel. On se met à table, on rit, on chante, et même la chanson est charmante, on boit, on boit tant, que don Miguel traite Pepita comme une fille errante dans les carrefours. Vous en avez vu plusieurs de cette dernière espèce dans les Nouvelles de Cervantès : « Les lèvres couvertes de carmin, une demi-mante de camelot sur les épaules libres et hardies, elles s’appellent d’ordinaire la Gananciera, la Carinattaou la Escalanta ; elles aiment les olives, les raisins, les crabes, la merluche frite, le pain blanc de Gandul et le vin de Guadalcanal, quand, il a pour le moins ses trois ans. »

Mais juste ciel ! quand elle se voit ainsi traitée par ce Miguel, la Pepita s’emporte, et nous avons vu le moment où elle cherchait à sa jarretière indignée une dague un poignard, quelque chose enfin à transpercer ce mal élevé ! Heureusement que tout s’explique et que bientôt la rixe est apaisée aux dépens au serpent. C’est lui, l’animal, qui avait donné à Miguel le conseil de manquer de respect à Pepita ! En ce moment le serpent revient de l’office ; il a voulu souffler dans son tuyau recourbé, il a manqué de souffle, et le corrégidor a mis ce bedeau à la porte de l’église. Ça t’apprendra à ne pas te tenir en repos dans un joli petit coin de ton ami l’Univers religieux, serpent que tu es !

Ainsi les deux jeunes gens se moquent du serpent, et ils font bien, pardieu ! Le reptile... on coupe ça en deux d’un coup de fouet et tout est dit. — Quel malheur que ce Pepito soit aimé de Pépita se dit alors le jeune Miguel. — Quel malheur que j’aime à ce point Pepito ! se dit Pepita. Les voilà bien tristes et bien malheureux, celle-là, celui-ci, lorsqu’on leur annonce par une lettre... électrique, on peut le dire, que ce fameux Pepito, cet adoré et adorable Petito, s’est marié à une galante de là-bas, sans même envoyer un billet de faire-part à la fidèle Pépita !

A la grande confusion du serpent, Miguel épouse à l’instant même Pepita, et, comme dit M. Arsène Houssaye en ses élégies de l’été,

Les voilà bien heureux ! Ils auront la science,
La science de vivre avec insouciance.

Heureux vers et qui valent bien la peine qu’on les cite plusieurs fois, jusqu’à ce qu’ils aient pris leur place dans la tête et dans la Sagesse des nations !

Ce petit drame à trois personnages est bien coupé pour le chant et par le chant, et le musicien s’en est donné à cœur-joie ! Ainsi les couplets, les duos, les romances, les chansons, les trios ! S’il n’y a de quatuor, c’est que véritablement ils ne sont que trois à chanter cette agréable partition. On a fait répéter plusieurs morceaux écrits alla zoppa, et le succès n’a pas été douteux un seul instant.

La chose est bien jouée, elle est assez bien chantée ; il est vrai que le chef d’orchestre s’est donné quelque peine, ce soir-là ; mais quoi ! les chefs d’orchestre chez les Grecs s’appelaient podoctuperi ; ils s’appelaient en latin pedarii, du bruit même que faisaient les pieds de ces messieurs.

P. S. Plus je lis Colette, le Maître chanteur et même Pepito plus je me demande comment et pourquoi la poésie est devenue (en chansons) une chose à ce point rare et difficile à rencontrer de nos jours. On faisait ces choses-là si bien autrefois ! Les jésuites eux-mêmes étaient si experts en chansons ! Par exemple cette amoureuse chanson de Jean de Lingendes, évêque de Mâcon :

Si c’est un crime de l’aimer,
On n’en doit justement blâmer
Que les beautés qui sont en elle !
La faute en est aux dieux
Qui la firent si belle,
Et non pas à mes yeux !

Certes la musique, en ces temps reculés, était toute faite avec de pareils vers !

(...)

Jules Janin.

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