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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Mardi 23 février 1875

La répétition générale de Geneviève de Brabant devait avoir lieu ce soir devant la censure, mais quand il s’agit d’une machine aussi compliquée que l’opéra-féerie de la Gaîté, deux répétitions générales valent mieux qu’une. C’est pourquoi MM. les censeurs ont été priés de remettre leur visite à demain.

Plusieurs costumes et pas mal d’accessoires manquant encore, on avait décidé d’abord qu’on répéterait, comme les autres soirs, en habit de ville. Puis, au dernier moment, on a changé d’avis, et l’ordre a été donné à tout le monde de s’habiller.

La répétition n’a donc commencé qu’à huit heures et demie, et la dernière ayant fini à quatre heures du matin, les artistes, qui sont sur les dents se demandent avec inquiétude jusqu’à quand on les retiendra cette nuit.

Peu de monde dans la salle : les auteurs naturellement ; Crémieux et Tréfeu (Offenbach ne quitte pas la salle), puis la famille du maestro disséminée dans les loges, MM. Heugel père et fils, propriétaires de l’ancienne partition et acquéreurs probables de la nouvelle, Victorin Joncières, Henri Lavoix, Grévin dont les costumes – côté des femmes – auront un succès fou, et Stop, le dessinateur des costumes d’hommes.

On n’attend pas de moi un compte rendu détaillé de cette répétition, qui se prolongera jusqu’à une heure invraisemblable. Tout semble promettre qu’elle marchera fort bien, et la première de Geneviève pourra certainement avoir lieu jeudi prochain.

Heureusement les entr’actes de Geneviève de Brabant sont assez longs pour me permettre de faire une excursion en dehors de la Gaîté. Du reste, si cela continue, les théâtres où j’ai l’habitude d’aller le plus volontiers flâner le soir arriveront à m’être tous fermés.

L’Opéra déjà m’est devenu complètement inaccessible. Depuis qu’on joue les 30 millions de Gladiator, j’ai toutes les peines du monde à trouver même un strapontin aux Variétés, et voilà que les Bouffes semblent vouloir aussi se mettre de la partie.

Depuis qu’on a repris la Princesse de Trébizonde la salle du passage Choiseul n’a pas désempli. On me conte même à ce sujet un fait assez original qui s’y est passé l’autre soir. Il y a aux Bouffes, non loin du paradis, une petite loge d’avant-scène perchée au quatrième étage sous les feux du lustre, horrible, incommode, inhabitable, tellement inhabitable même que d’habitude elle est abandonnée aux pompiers qui en ont fait un poste d’observation.

Samedi, trois jeunes gentlemen de la haute gomme se présentaient au contrôle le camélia à la boutonnière.

– Nous voudrions une loge.
– Il n’y en a plus.
– Une baignoire, alors.
– Il n’y en a pas davantage.
– Des fauteuils ?
– Impossible !
– Des strapontins ?
– Nous venons de donner le dernier.
– Mais pourtant nous venons pour voir la Princesse de Trébizonde, et nous voulons absolument la voir : trouver un coin.
– C’est que ce qui nous reste est vraiment si peu digne de vous être offert…
– Montrer toujours.

Et on conduisit les trois jeunes gens dans le trou dont j’ai parlé plus haut.

Les trois jeunes gentleman, trouvant la chose originale, acceptèrent, et tout le public ne fut pas peu surpris de voir à ces hauteurs démocratiques trois spectateurs aussi élégants qui s’amusaient à faire pleuvoir sur la scène toute la provision de roses et de lilas qu’Isabelle comptait vendre aux gilets à cœur de l’orchestre et du balcon.

Ce qu’il y a de plus curieux c’est que la mode s’en est mêlée. Depuis, d’autres élégants ont tenu à louer aussi cette loge dont personne ne voulait, et qui sait ? peut-être va-t-elle arriver à faire prime sur la place bien plus que les meilleures avant-scènes du théâtre. Par exemple, ce sont les pompiers qui ne sont pas contents.

UN MONSIEUR DE L’ORCHESTRE.

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