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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Dimanche 28 février 1875

(…) À la Gaîté, Geneviève de Brabant promet de finir ce soir à une heure raisonnable. La pièce est plus serrée et on a eu le temps de régler à tête reposée les quelques coupures qu’il avait fallu improviser au cours de la première représentation.

J’entre un instant dans la salle où je ne trouve que très difficilement à me loger. Ainsi que je l’avais prévu, les enfants sont très nombreux, et cela malgré le mauvais temps. Les artistes ne semblent même pas se souvenir de la fatigue de tous ces derniers jours. Ils jouent comme s’ils n’avaient pas vu plusieurs fois de suite se lever l’aurore en sortant du théâtre.

Par exemple, une chose qui va bien vous étonner : Christian est ému. Il l’était hier, il l’est aujourd’hui, il le sera longtemps encore. Certes, on ne s’en douterait guère, à voir le sang-froid imperturbable avec lequel il débite toutes les calembredaines les plus folles qui lui passent par la cervelle. Christian ému, cela paraît invraisemblable. Et pourtant, cela est : Christian est ému, mais sérieusement ému.

Maintenant, pourquoi Christian est-il ému ? Il y a dans son rôle un passage qu’il redoute, un passage qui lui inspire les plus grandes inquiétudes : c’est le moment où il faut qu’il monte à cheval.

Or, l’équitation est une partie de son éducation qui a été totalement négligée. Aussi a-t-il tout mis en œuvre pour se dispenser d’une cavalcade entièrement opposée à ses goûts et à ses aptitudes. D’abord, ne voulant pas laisser voir ses craintes, il a pris un air indifférent.

– Est-il bien nécessaire que je monte à cheval ? disait-il à Offenbach.
– Mais certainement.
– Pourtant, il me semble que, le duc mon maître étant à cheval, le respect exigerait que je fusse à pied.
– Pas le moins du monde. C’est nécessaire pour l’effet du défilé.

Le lendemain, Christian revenait à la charge.

– Vous avez beau dire ; je trouve absolument inutile de me faire monter à cheval. D’abord, je me connais à cheval, il me sera impossible de trouver le moindre calembour.

Mais Offenbach tenait bon. Christian se décida à avouer sa faiblesse.

– Écoutez, décidément le cheval ne me va pas du tout. J’ai consulté des gens spéciaux : en pleine campagne, bien tenu à la main, il n’y aurait peut-être pas trop de danger ; mais ici, sur un théâtre, avec les lumières, la musique, le bruit, la foule, on ne sait pas ce qui peut arriver. Vous comprenez que je ne tiens pas à risquer ma vie. Par conséquent, pas de cheval, n’est-ce-pas ?

Et, jusqu’à la dernière répétition, il se refusa obstinément à risquer un seul pied dans l’étrier. Ce n’est qu’hier qu’on a pu le décider. Mais son cheval est tenu par deux hommes.

Et encore il n’est pas rassuré du tout.

Heureusement que Geneviève va tenir l’affiche pendant de longs mois : il aura le temps de devenir un écuyer consommé.

UN MONSIEUR DE L’ORCHESTRE.

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