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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Lundi 27 avril 1874

LA PÉRICHOLE

(Air de la Lettre.)

A MONSIEUR JACQUES OFFENBACH.

O mon cher maître, je vous jure,
En vérité, qu’il était temps
De la revoir, vive d’allure,
Votre opérette aux airs charmants
Cet éternel Chapeau de paille
D’Italie est bien rococo ;
Il a du bon, mais quoi qu’il vaille,
Entre nous, c’est un vieux chapeau.

Puisqu’un mal cruel vous empêche
D’être à votre poste d’honneur,
Veuillez lire cette dépêche
Pour vous écrite à la vapeur.
Ma rime est pauvre et famélique ;
Voudrez-vous lui faire crédit ?
Chantez la sur votre musique,
Vous lui donnerez de l’esprit.

Ah ce simple nom : Périchole
Comme il est- plein de souvenirs !
C’est tout un passé qui s’envole,
Passe joyeux, tout aux plaisirs ;
Ce passé qui va disparaître,
Il nous semble bien loin déjà
Théo, Judic étaient à naître,
On parlait peu de Gambetta.

Aussi quelle charmante salle,
Le Tout Paris boulevardier,
S’est disputé la moindre stalle,
Tout est plein jusqu’au poulailler,
Et par avance l’on fredonne
De tous côtés vos airs exquis ;
Et surtout celui qui me donne
Le rhythme sur lequel j’écris.

J’entends Paul Foucher qui soupire :
« Les femmes, il n’y a que ça ! »
Miranda ne cesse de dire,
La bouche en cœur : « Il grandira ! »
Madame X..., que déjà délaisse
Un époux, par trop négligent,
Lui chante l’oreille, sans cesse,
L’air du « mari récalcitrant ».

Voulez-vous des noms ? Je vous cite
Au hasard Camando, de Croix,
Brinquant, Delaage le spirite,
Stern et le comte de Pontoi,
D’Hautpoul, Janvier de lai Motte,
Martel, Galitzine, Ephrussi,
Troubetzkoï, bref, une flotte
Que je ne puis nommer ici.

J’aurais voulu parler des dames
Heilbron, Mariani, Zulma,
Mais bah ! remplaçons ces réclames
Par de nombreux et cœtera.
Mais n’oublions pas la charmante
Judic, qui trop tôt prend son vol :
Au Gymnase il faut qu’elle chante
Au bénéfice de Landrol !

Songez que pour la circonstance
Schneider doit rejouer ce soir !
Or, quel cœur pour la belle Hortense
Ne bat pas sous un habit noir ?
Même attrait du côté des femmes
Il est là, le roi des ténors,
Le beau Dupuis, aimé des dames
Qui possèdent un huit-ressorts.

Bref, quand la toile s’est baissée
Ce soir pour la dernière fois,
Chacun n’avait qu’une pensée
En voilà bien pour deux bons mois !
Au Figaro je me séquestre
Et, les yeux de sommeil perdus,
Je signe « Un Monsieur de l’orchestre. »
Qui lutte, mais qui n’en peut plus.

Un Monsieur de l’orchestre.

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