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Revue et gazette musicale de Paris – 25 octobre 1868

Aux appréciations des principaux organes de la presse sur la Périchole, que nous donnions dans notre dernier numéro, nous ne pouvons nous empêcher d’ajouter celle de M. Paul de Saint-Victor, le brillant courriériste de la Liberté :

« Tout ce premier acte est d’une turbulence réjouissante, et l’esprit de M. Meilhac jette de fines notes dans son brouhaha. — N’est-ce pas une fantaisie voltairienne, dans le goût des épisodes de Candide, que ce Pérou de carton au milieu duquel se prélasse un vice-roi mystifié ? Offenbach l’a rempli d’airs, de chœurs et de rondes à faire damner tous les alcades des Espagnes et à défrayer toutes les sérénades de Paris. Cette fois, ce n’est plus de la caricature musicale, mais un tableau de genre plein de couleur et d’esprit. Le musicien reste léger dans la charge, élégant dans la bouffonnerie : ses coq-à-l’âne même ont des ailes. — Quelle excellente parodie des romances de carrefour que l’air de l’Espagnole et la jeune Indienne ! C’est l’orgue de Barbarie tourné par un musicien qui s’amuse. Imaginez encore un artiste en gaieté retouchant d’un pinceau moqueur une image sentimentale à 2 sous de la rue Saint-Jacques, avec sa légende moitié castillane et moitié française. — L’ariette : Ah ! quel dîner je viens de faire !, ferait mousser le vin dans les verres. Mais le joyau de ce premier acte est une larme. Ce n’est pas la Périchole, c’est Manon elle-même qui devrait chanter ces charmants couplets de la Lettre, mêlés de tristesse et de malice, où circule un sourire perfide et attendri tour à tour.

...

 » Si au 2e acte, l’esprit des auteurs s’endort, la verve du musicien reste éveillée jusqu’au bout. — Je n’aime guère les couplets de Piquillo : Les femmes, il n’y a que ça ! un gros refrain de café-concert, fait pour être rhythmé par le bruit des chopes. En revanche, rien de plus drôle et de plus piquant que l’ariette chantée par la Périchole : Mon Dieu, que les hommes sont bêles ! Citons encore l’aubade railleuse des dames de la cour : Eh ! bonjour, Monsieur le mari, qui ferait un charmant pendant au Bonsoir, Monsieur Pantalon, de Grisar.

 » La Périchole, c’est Mlle Schneider, qui n’a jamais été plus charmante... Son originalité est surtout dans la finesse qu’elle sait donner au couplet risqué et au mot grivois. Elle gaze, quand elle veut, avec des doigts de fée. La réticence qui glisse, le sous-entendu qui effleure, le trait retenu qui chatouille malicieusement les coins du sourire, ce sont là ses grâces et ses enchantements. Il y a de la chatte métamorphosée en femme dans la coquetterie souple et leste qu’elle met à traverser certains passages scabreux de ses rôles. Cette scène d’ivresse du premier acte, qui rase la borne, qui frise l’ivrognerie, elle la joue avec une mesure, une réserve, une adresse exquises. On dirait une jolie bohème faisant tourner au bout d’une baguette un verre rempli, sans qu’une goutte en tombe. — Il faut l’entendre encore chanter sa lettre à Piquillo, et en souligner tous les fins passages, avec un accent de tendresse moqueuse et d’enjouement triste. C’est à la fois touchant et comique : le persiflage y borde le sanglot. En ce moment, la Périchole a la voix et le cœur de Manon Lescaut.

 » Dupuis est toujours comique dans ce personnage de bellâtre adoré, niais, épanoui, qui est l’uniforme de son talent. Grenier fait plaisamment ressortir la bonhomie tyrannique et la paillardise hébétée du vieux vice-roi : c’est Schahabaham amoureux. Christian est drôle en homme sauvage ; mais il devrait bien mettre une sourdine à son organe formidable. La cascade avec lui tourne à la canonnade : on croirait entendre le tonnerre lâchant des lazzis. »

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