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Chronique théâtrale

L’Opinion nationale – Lundi 12 octobre 1868

Théâtre de la Porte-Saint-Martin : Cadio, drame de George Sand et de M. Paul Meurice. – Variétés : La Périchole, deux actes de MM. Meilhac, Halévy et Offenbach. – Bouffes-Parisiens : Le Fifre enchanté, de MM. Nuitter et Tréfeu. – Athénée : Le Petit Poucet, quatre actes de MM. Van Loo et Laurent de Rillé. – Gaité : Reprise de Léonard, de MM. Brisebarre et Eugène Nus.

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Vraiment non, jamais je n’aurai de sévérités pour des œuvres qui, comme Cadio, sont des protestations, et je ne réserverai point mes tendresse pour l’Ile de Tulipatan. Aux coups d’archet nerveux qui donnent le signal du quadrille, je préférerai toujours de le coup de clairon qui sonne la danse.

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Je n’ai plus assez d’espace pour longuement parler des opérettes de la semaine. Elles son nombreuses. On en a représenté un peu partout. J’ai trouvé vraiment un vif plaisir à écouter aux Bouffes la piquante pièce de MM. Nuitter et Tréfeu, le Fifre enchanté. C’est leste et pimpant, un marivaudage spirituel, piqué d’esprit, tout actuel, de la veille ou du matin. Offenbach a écrit pour ce livret élégant de jolis airs, d’une raillerie sentimentale comme ceux de la Chanson de Fortunio, et Mlle Fonti les chante avec une petite voix de fifre qui enchante. La pièce avait été joue, je crois, à Ems ou à Spa.

C’est justement Mlle Van Gheel qui, sur les bords du Rhin, me dit-on, créa le rôle. (...)

Deux jours auparavant, les Variétés nous avaient donné la Périchole. La pièce est loin d’avoir réussi à la première représentation ; le premier acte, qui est charmant, avait électrisé la salle ; le second l’a frappé d’atonie. Mais on y a fait des coupures, Mlle Schneider s’est modérée, et maintenant la pièce marche. Elle est, en somme, fort bien faite, avec une idée ingénieuse et de jolis détails. Les auteurs ont emprunté les noms de leurs personnages à une saynète de M. Prosper Mérimée pour bâtir à côté une intrigue amusante. Le vice-roi de Lima se promène : il court les rues incognito, et il ne rencontre que gens heureux. Les ministres ont organisé, pour le tromper sur l’esprit public, une vaste mascarade. Lima n’est plus qu’un immense quadrille. « Comme le peuple est heureux ! » se dit le vice roi.

Il trouve pourtant sur son chemin une chanteuse des rues qui n’a point dîné, la Périchole et qui meurt de faim. N’est-ce que cela ? Il l’emmène dans son palais, après l’avoir mariée au premier venu qui est justement le fiance de la bohémienne.

C’est là le premier acte, très satirique et très mordant. Au second, adieu la verve ! Le vice-roi se fait présenter la Périchole par son mari, que les courtisans insultent et qu’il brave, comme dans la Favorite. E finita... Cette fantaisie railleuse n’est plus qu’une parodie. La Périchole enfin ramasse sa guitare, quitte la cour et, prenant sa volée avec Piquillo, s’est va comme jadis, chanter à la belle étoile.

Le succès a été pour Offenbach et pour Mlle Schneider. Il y a deux ou trois airs ravissants, entre autres ce chœur des demoiselles d’honneur qu’on a fait bisser. Mlle Schneider a joué tout le premier acte avec la grâce la plus piquante : c’est l’esprit même. Elle a dit la lettre d’adieu et une certaine scène d’ivresse, d’une façon leste qui s’arrête à point. Puis tout à coup, au second acte, chantant un couplet, voilà qu’elle le souligne d’un hoquet bizarre qui a rendu froid le public. Elle l’a bien compris et elle a dû s’en repentir. « Mlle Schneider, disait-on dernière moi, imite donc maintenant Mlle Silly ? »

Grenier en vice-roi ressemble à un pamphlet vivant. Il est admirablement grimé.

Dupuis est amusant et presque attendrissant au moment où il va se prendre. Il y a là un joli mot justement. Monté sur un escabeau, la corde au cou, bien décidé à mourir, Piquillo va s’élancer. Arrive un passant quoi donne un coup à l’escabeau. Le futur suicidé, pendu malgré lui, entre en fureur et pousse ce rit tout à fait comique : – Qui a touché mon escabeau ?

La Périchole réussira sans aucun doute. Et pourtant elle manque de cet élément de fantaisie affolée qu’apportait Couderc à ces farces très satiriques et très narquoises qui, les unes après les autres, nous montrent et nous ont montré les majestés en goguette.

(...)

Jules Claretie.

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