FOLIES-DRAMATIQUES. – La Fille du tambour-major, opéra-comique en trois actes et quatre tableaux, paroles de MM. Alfred Duru et Henri Chivot, musique de Jacques Offenbach.
De tous ceux qui, comme moi, on lu, relu, admiré et savouré cette prodigieuse Chartreuse de Parme, l’un des plus rares monuments de la littérature française au dix-neuvième siècle, qui devina jamais que le lieutenant Robert, le protagoniste du livre, deviendrait quelque jour un héros d’opérette ? Et cela pourtant arrive. Voilà nos braves Français qui entrent dans Milan le ventre creux et les pieds nus. Et c’est bien lui, le lieutenant Robert, la coqueluche des belles patriciennes italiennes. On a peur de lui d’abord, puis, on se moque cruellement de sa pauvreté, jusqu’au jour où on pleure sur elle. – Quoi ! pas de souliers ! Quoi ! deux onces de viande pour vivre, monsieur le lieutenant !... Ce n’est pas moi qui chercherai querelle à MM. Duru et Chivot pour s’être souvenus de cette adorable scène ; je les en loue, bien au contraire, car leur réminiscence m’a transporté, comme par un coup de baguette, en ces temps héroïques où la jeunesse et la gloire de notre siècle naissant illuminaient de leur incomparable aurore les deux versants des Alpes.
Donc, la troupe française, commandée par le lieutenant Robert, traverse le Saint-Bernard pour rejoindre la fameuse armée lancée par le génie du Premier-Consul sur les derrières de Mélas. Il y a là un couvant de femmes, d’où le lieutenant Robert et ses quarante hommes, y compris le tambour-major Bernard, dit Monthabor, et le tapin Griolet, font envoler les chastes habitantes. Une seule, plus osée, plus curieuse, est restée et leur fait les honneurs de la demeure déserte. C’est la jeune Stella, fille du duc et de la duchesse della Volta. Au premier coup d’œil, le lieutenant Robert se sent touché au cœur.
Le hasard lui donne ensuite, ainsi qu’à sa compagnie, un billet de logement dans le palais du duc, à Novare. C’est là que se place le nœud de cette aventure, qui débutait comme un joli roman d’amour et qui s’égare ensuite par le grand chemin des opérettes. Mis, par hasard, en présence l’un de l’autre, la duchesse della Volta et le tambour-major poussent un grand cri. Ils se sont reconnus. La duchesse est la femme divorcée de Bernard, qui exerçait la profession de teinturier avant de partir pour la frontière, et Stella est leur fille. La nature parle chez l’enfant, et la voilà qui part comme vivandière sous la protection de son père, le superbe et paterne Monthabor, qui se trouve très flatté de consentir au mariage de sa fille avec le lieutenant Robert.
On poursuit le père, la fille et l’amant ; Stella, reprise par les sbires du gouvernement autrichien, va se trouver obligée, pour assurer la liberté du lieutenant Robert, d’épouser un certain marquis Bambini, qu’elle déteste, lorsque la dernière victoire du Premier Consul sauve tout. Les troupes françaises entrent dans la ville de Milan, musique et tambours en tête, aux acclamations d’une population en délire, qui salue ses libérateurs. Quel dénoûment pour une farce ! Quel spectacle que celui de l’armée bouffe, défilant, conduite par Offenbach, sous l’arc de triomphe de l’Etoile !
Eh bien ! n’en riez pas, lecteur, car nul spectateur n’en a ri. Nous avons traversé, nous traverserons encore bien des écœurements, nous avions besoin d’un bain de chauvinisme. Qu’on nous l’offre aux Folies-Dramatiques ou bien ailleurs, qu’importe, pourvu qu’il nous rassérène et nous fortifie.
Et s’il est vrai que plus d’un, et moi tout le premier, se soit laissé « emballer », comme on dit, à la vue du noble drapeau de Rivoli, d’Arcole et de Marengo, qui fut plus tard celui de Magenta et de Solferino, que celui qui ne s’est pas senti remué me jette la première pierre.
Cela dit, et pour redescendre aux choses ordinaires, tout le monde a reconnu que la pièce de MM. Chivot et Duru n’était que la Fille du régiment retournée ; mais ce travail de ravaudage est habilement fait. En développant les sentiments paternels chez le brave Monthabor, les auteurs ont fourni à leur pièce un élément d’intérêt que ne comportait pas l’arrangement particulier du poème de Saint-Georges.
Je ne puis juger au courant de la plume les vingt morceaux dont se compose la partition de M. Jacques Offenbach. Je suppléerai à cette étude par une impression d’ensemble. La musique de la Fille du Tambour-Major possède, à mon avis, une qualité qui, pour moi, la classe dès la première audition. C’est de la musique nette, claire, écrite par une plume qui sait ce qu’elle veut et ce qu’elle peut. Je compare M. Offenbach à un causeur étincelant, dont la conversation variée s’alimente de toutes les connaissances et de tous les styles, et qui vous tient sous le charme, sans souci des censeurs moroses qui ne lui reprochent que de plaire.
Au premier acte, je citerai la fine chanson du tailleur amoureux, agréablement détaillée par M. Max-Simon et la chanson si pénétrante de madame Simon Girard « Gentil français ! ».
Au deuxième acte, se trouvent les couplets de la Migraine, chantés par Mme Girard, la mère (nous sommes ici en famille), avec une sûreté de style et une puissance de voix qui dépassent peut-être le niveau moyen de la maison. Un final éclatant, traité à l’italienne, ce qui est ici de la couleur locale, encadre la chanson de Mam’zell Monthabor, pleine de crânerie et de franchise, enlevée avec beaucoup d’entrain par Mme Simon Max.
Au troisième acte, le moins corsé de la pièce, il faut noter un duetto bouffe chanté par madame Girard la mère et M. Luco, et puis le final militaire dans lequel se trouve intercalé un fragment du Chant du Départ, de Méhul. Ici, le succès qui n’avait pas faibli un seul instant, s’est affirmé dans des proportions surprenantes eu égard au petit cadre des Folies-Dramatiques. Une mise en scène adroite et très soignée contribue à l’effet de ce dernier tableau. Mais comment notre ami Jacques Offenbach s’est-il laissé persuader d’écrire une tarentelle pour des paysans milanais ? Autant vaudrait faire exécuter un gigue irlandaise à Tarascon. Le lapsus serait le même.
L’interprétation est excellente ; mesdames Girard, Simon Girard, M. Max Simon et M. Lepers ont été très applaudis. Le rôle du tambour-major a mis tout à fait en saillie le talent de M. Luco, qui joue le rôle du vieux soldat facétieux et sentimental avec une sobriété et une sincérité qui le classent parmi les comédiens.
Je serais bien étonné si la Fille du tambour-major ne devenait pas un grand succès d’argent pour les Folies-Dramatiques.
Auguste Vitu.