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Théâtre des Bouffes-Parisiens

Revue et gazette musicale de Paris – 19 décembre 1869

La Romance de la Rose, opérette en un acte, paroles de MM. Tréfeu et Prével, musique de Jacques Offenbach. (Première représentation, le 11 décembre.)

Il est d’usage que les auteurs d’une grande pièce à succès jouissent du privilége de fournir le lever de rideau qui la précède. Ordinairement, si modeste, on y attache peu d’importance. Mais quand une œuvre, si modeste qu’elle soit, est signée d’Offenbach, et que la donnée en est neuve et piquante, on lui doit bien quelques égards. C’est à ce titre que nous enregistrons le très-vif succès de la Romance de la Rose.

La délicieuse mélodie que M. de Flotow a si heureusement utilisée dans Martha peut se priver de nos éloges. Elle est dans toutes les mémoires ; elle a passé par toutes les phases de la vogue, du théâtre au salon, depuis la transformation pour instruments divers jusqu’à la vulgarisation par l’orgue de la voie publique. Rien n’a manqué à la gloire de cette perle de Martha. Il n’est donc nullement étonnant que les deux auteurs, bien inspirés, en fissent le sujet d’une opérette. Voici comment ils s’y sont pris.

Une ravissante veuve américaine, aux cheveux blonds, dorés comme un rayon de soleil, est venue chercher l’oubli en France, dans une de nos nombreuses stations normandes de bains de mer. Mais là, une voix sortant d’un pavillon voisin de celui qu’elle habite, a réveillé tout à coup ses souvenirs les plus chers. Cette romance de Martha, qu’elle entend matin et soir, son mari la fredonnait sans cesse ; il la chantait encore le jour de sa mort arrivée au saut du Niagara. Ce rapprochement lui inspire une tendre sympathie pour le chanteur inconnu, qui lui rappelle ses belles années de bonheur conjugal. Or, le pavillon en question est occupé par un peintre marié, ou à peu près, et par un musicien, son ami. Plus de doute, c’est ce dernier qui a droit à sa reconnaissance.

Quelle erreur ! Octave n’est pas capable d’émettre deux notes justes, et c’est le peintre Francisque qui charme, sans le savoir, les oreilles de l’Américaine. Il faut bien pourtant que la vérité éclate, et alors que deviendra Octave, amoureux fou de l’étrangère ? Francisque retarde la crise, en déguisant sa voix devant Mme Johnson, à l’aide d’une scie d’atelier, aboyée sous le titre du Chien du colonel. Mais ce n’est qu’un répit ; si Octave épouse la veuve, il sera condamné, dès le soir des noces, à la romance de la Rose, et, le subterfuge découvert, sa femme plaidera en séparation. Comment sortir de cette impasse ? C’est encore Francisque qui vient au secours de son ami, en faisant écorcher la mélodie écossaise par une clarinette d’aveugle, par une guitare fêlée et par un organe enroué de baigneur de la plage. La belle Américaine ahurie, scandalisée, ne veut plus entendre parler de cette romance qui a fait ses délices, et Octave, en l’épousant, promet, sans peine, de ne jamais la lui chanter.

Nous avons négligé dans cette analyse rapide la jalousie de la maîtresse du peintre, et l’amour grotesque du baigneur Jean-Louis pour la veuve d’Amérique. Tout cela constitue une pièce amusante, spirituelle, bien intriguée. C’est une excellente préparation au fou rire de la Princesse de Trébizonde.

Les quelques airs qu’Offenbach a semés sur cet aimable libretto sont prestes, légers, pimpants, et sans aucune prétention. Il y a cependant une inspiration bouffe qui deviendra très-vite populaire, c’est le Chien du colonel. Cette scie d’atelier chantée par Francisque, et répétée en chœur par les autres personnages, est dans les meilleures conditions du genre. Le refrain offre un spécimen des différentes manières d’aboyer, dont l’effet est des plus drôlatiques.

Constatons, du reste, que les autres morceaux de la partition ne sont pas absolument à dédaigner. Le petit duo entre le peintre et sa maîtresse est bien mouvementé ; les couplets dialogués de Francisque et de Mme Johnson ont du charme et de la couleur. Un cran au-dessus, nous mettrons les couplets de Rébecca, frais et distingués, un petit quatuor à trois temps, et l’effet d’orchestre qui traduit en valse la romance de la Rose pendant la scène du charivari.

Mlle Périer joue et chante admirablement le rôle de Rébecca.

Mlle Valtesse personnifie à merveille la veuve Américaine ; tout en elle est séduisant, jusqu’à son gazouillement britannique qui lui donne un charme de plus.

Victor est bien placé dans le rôle du peintre ; c’est lui qui a les honneurs de la scie d’atelier.

Hamburger, un amoureux comique, Lacombe, un baigneur rustaud, ont de bonnes intentions qu’il est juste d’encourager.

D.

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