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Causerie d’un ancien directeur

Le Figaro – Vendredi 19 janvier 1877

Parlons de Jacques Offenbach, tant à l’occasion de son livre sur l’Amérique qu’en raison de ses deux opérettes en préparation, l’une aux Variétés, le Docteur Ox, l’autre aux Folies-Dramatiques, la Foire de Saint-Laurent.

Au début de sa carrière artistique, Jacques Offenbach préludait par le rhythme [1] particulier de son tempérament au rhythme de sa musique. Les initiés d’autrefois n’ont pas oublié les premières manifestations de ce tempérament original, dans les soirées de carnaval qui avaient lieu chez l’excellent Ponchard père.

Offenbach, alors simple instrumentiste était le boute-en-train de ces fêtes. Profitant de la liberté des jours gras, il organisait, avec le concours de jeunes et aimables familiers de la maison, des intermèdes fantaisistes, qu’il préparait dans le plus grand secret.

Un Mardi-Gras, à l’attaque d’un avant-deux bouffe, chaque danseur se couvrit brusquement la tête d’un bourrelet d’enfant, et contrefaisant la voix d’un bébé, se mit à chanter en dansant. Je soupçonne que les paroles étaient d’Offenbach, littérateur. On va voir qu’il employait le mot propre : propre, sans l’être précisément… mais il s’agit du langage des bébés, qui ont aussi (comme le latin que le petits garçons apprendront plus tard), le droit de braver l’honnêteté dans les mignons discours. Je risque donc le texte de l’avant-deux :

Papa, maman, je n’ veux pas faire pipi à pot ;
Papa, maman, moi j’ veux aller sur le gigot, etc.

Je laisse penser de quels éclats de rire fut accueillie cette folie inattendue !

Un instant après, c’était le galop final, avec un accompagnement également imprévu… de mirlitons. Quelle joie ! ou plutôt quel délire !

Jacques Offenbach était passé maître sur le mirliton. Il en tirait des sons grotesques, et, suivant l’inspiration, des notes empreintes de douceur, de mélancolie et même d’attendrissement. Qui s’en étonnerait ? Tout mirliton aboutit à de la pelure d’oignon, et l’on sait que l’oignon est en parenté avec les larmes.

Un soir de cette époque, il arriva à J. Offenbach de donner une fête théâtrale dont le programme était la parodie du Trovatore. Il y avait là une foule de jeunes écrivains et de compositeurs, qui, depuis, sont presque tous devenus des maîtres. – M. Edmond About s’était chargé du rôle du bourreau. Sa conviction était grande : un bourreau admirable !

La pièce faisait tordre les spectateurs. On accompagnait au piano les airs et rondeaux de la parodie. Quelques instruments à cordes donnaient aussi de temps à autre un concours arbitraire et absolument facultatif.

A la fin, au moment de la situation si pathétique du Trovatore, piano et instruments font subitement tacet. Une mélodie solennelle sort de derrière la coulisse. On écoute religieusement. Qu’était-ce donc ?… Des mirlitons ! Oui, des mirlitons s’étaient intrépidement attaqués à la musique de Verdi, et ils en accusaient les phases d’éclat, de douleur et de désespoir. C’était très réussi. On applaudit à tout rompre.

Offenbach avait supérieurement mirlitonnné la partie de ténor ; il fut pris d’une laryngite qui le maintint pendant quinze jours dans sa chambre. Mais qu’importe ! Le mirliton avait triomphé : ne fallait-il pas expier un peu cette gloire nouvelle ?

Hippolyte Hostein.

[1SIC

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