THÉÂTRE DES VARIÉTÉS. – La Périchole. – Rentrée de Mlle Schneider.
Camila Périchole est, comme on sait, une figure très originale de la Procession du Saint-Sacrement. C’est le nom seulement de la comédienne que MM. Meilhac et Halévy ont emprunté à Mérimée. Cela ne constituait ni un plagiat, ni même un emprunt. A le bien prendre, c’était un hommage à l’écrivain de race qui, à ses débuts dans les lettres, avait cru devoir délivrer à un manifeste romantique le passeport d’un pseudonyme espagnol, celui de Clara-Gazul.
Pour donner plus d’éclat et, un a-propos de nouveauté à une reprise de la Périchole, les auteurs ont renforcé leur troisième acte d’un tableau inédit. Le deuxième acte de l’ouvrage est une parodie musicale de deux situations de la Favorite. Piquillo, marié comme un autre Fernand à la favorite du vice-roi de Lima, après avoir été montré, au doigt par les courtisans, insulte don Andres qui lui a ravi la Périchole. Le prince ordonne à sa garde de se saisir du saltimbanque qu’il vient de nommer comte de Tabaga et duc du Mançanarès, et de l’enfermer I dans le cachot des maris ré, des maris cal, des maris ci, des maris trants. Le public y descend cette fois avec Piquillo.
Ce cachot, creusé en in-pace, devient tout naturellement un lieu d’agrément et de rendez-vous général. La Périchole y descend pour délivrer son époux et s’enfuir avec lui en emportant les diamants du vice-roi. Don Andrès, en geôlier barbu y vient surprendre son rival et sa maîtresse. Sous ce déguisement, dont le côté pittoresque le met en belle humeur, ce prince extrêmement jaloux rit, gambade et fait sonner son trousseau de clefs sur les tin, tin, tin d’un rhythme [1] de polka. Après quoi il se démasque, appelle de vrais geôliers et leur ordonne d’enchaîner les deux amants en face l’un de l’autre mais, bien entendu, à distance respectueuse. Grâce à un hôte mystérieux de la prison, qui joue les Latude, la Périchole et Piquillo sont débarrassés de leurs chaînes. La favorite tend alors un piège au vice-roi en l’attirant dans le cachot avec le fameux refrain Il grandira, car il est Espagnol ! Don Andrès reparaît, ivre d’amour et sans défiance, et les trois conjurés lui font subir la loi du talion. Ils le rivent à la muraille en lui chantant à trois parties : Les femmes ! les femmes ! il n’y a que ç’à !
Ce tableau ajouté à la Périchole a été trouvé très amusant par les uns, insupportable, ou peu s’en faut, par les autres. Il faut prendre dans les deux opinions une moyenne : je conviens qu’on a ri, mais je ne suis pas certain de m’être amusé.
Le premier acte de la Périchole, sans comparaison est le meilleur des trois. La musique écrite par M. Offenbach, dans cette première partie de l’ouvrage est, de l’introduction au finale, pleine de feu, de vivacité et de légèreté. C’est toujours la même manière, spirituelle et touchée superficiellement mais n’est-ce pas le ton de l’opérette ? Rien de plus touchant, de plus simple, de plus sincèrement et heureusement inspiré que la lettre de la Périchole à Piquillo. Cette lutte inégale de la passion contre la faim est d’un effet musical admirablement trouvé.
Comme je viens de louer en toute franchise, je critiquerai de même. J’ai entendu rarement quelque chose d’aussi vulgaire, d’aussi plat, que le trio-rondo :
Les femmes ! il n’y a queça !
Tant que la terre tournera ;
Et que le monde durera,
Il n’y aura
Que çà !
C’est de la pornocratie en chanson et en musique. Il existe aux Variétés – et je ne l’ignore point, hélas ! – un auditoire des deux sexes, fait pour s’y rencontrer, et auquel le rondo chanté par l’acteur Dupuis cause un véritable délire.
C’est en vue de plaire à cette clientelle [2] qui fait la fortune de l’opérette à la mode que les auteurs ont créé le personnage du prisonnier, lequel n’a pas autre chose à dire, et ne s’en fait faute : Je n’ai pas embrassé une femme depuis douze ans !
Comme en termes galants ces choses-là sont mises !
La Périchole fut l’avant-dernière création d’Henriette Schneider au théâtre où elle vient de reparaître. Elle a fait de la virtuose de place publique, devenue la maîtresse d’un vice-roi, l’un de ses meilleurs rôles de comédienne et de chanteuse. C’est avec un sentiment exquis, une passion désolée, et toutes les nuances de la grâce et de l’attendrissement, que la Périchole fait au public, gagné par l’émotion, la lecture de sa lettre d’adieu. Par un contraste qui donne la mesure des ressources de l’artiste Mlle Schneider sauve la situation extrêmement risquée de son rôle, celle de la scène de l’ivresse. Il s’en faut de l’épaisseur d’un cheveu, surtout étant mimée et jouée par une femme charmante que cette scène ne tourne à la crapule. L’actrice ébauche le hoquet et le noie dans les grâces du sourire ; elle esquisse le geste trivial, la marche titubante, la diction empâtée, et elle s’arrête à l’expression juste et vraie, sans effleurer je ne dirai pas seulement l’ignoble, mais le mauvais goût. C’est ainsi que je me figure la bacchante antique aux fêtes de Dionysos.
La voix de Mlle Schneider a conservé sa sonorité moëlleuse et sympathique dans le registre de poitrine ; mais les notes de tête, de plus en plus tremblées, se posent sans assurance aucune sur la phrase musicale. L’actrice n’a rien perdu et la femme a gagné – comment dirai-je cela ? – en beauté orientale. Le visage a par conséquent moins de finesse sans que la physionomie ait perdu de son intelligence, grâce au sourire qui a toujours les vingt ans du pantin de Violette. Dupuis est amusant dans le premier acte de la Périchole. En avançant dans la pièce, ce farceur fantaisiste reproduit invariablement les mêmes tics et en affaiblit l’effet. Pour les autres acteurs qui donnent la réplique à la Périchole et à son amant, le comique est jusqu’à un certain point une question de costume. Dépouillez-les de l’arrangement, pittoresque de leur mise extravagante, et adieu l’éclat de rire qui se produit dans la salle à leur apparition.
Benedict.