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Correspondance

Le Figaro – Samedi 9 avril 1859

M. Méry a adressé à M. Jacques Offenbach la lettre suivante : c’est un remercîment de poète à musicien :

Paris, 5 avril 1859
Mon cher ami,
Vous êtes un directeur, comme il y en a un. Vous avez tous les soirs deux foules, celle qui remplit la salle et celle qui reste à la porte, et vous m’envoyez gratuitement une loge sous prétexte que je vous la demande ! Je cherche dans les annales des directions et je ne trouve rien de plus beau.
J’avais cru agir avec délicatesse en attendant la 200e représentations d’Orphée, mais le fait m’a démontré que j’aurais dû attendre encore un petit semestre de représentations ; puis, à force de réfléchir à cette vogue inouïe, je me suis félicité de mon audacieuse demande, car un jour doit venir où une pièce de théâtre sera jouée, à Paris, tous les soirs et sans aucune dernière représentation, et je crois que votre Orphée sera cet ouvrage éternel. Le dernier des Offenbach donnera une loge des Bouffes-Parisiens à l’ante-christ.
Cette éternité d’Orphée s’explique naturellement. On rit du premier mot au dernier. Après les larmes, le rire est ce que le public aime le mieux. On voit de jeunes et jolies femmes, en costume d’Olympe. Cette mode est plus légère à l’œil que l’énigme des crinolines. La musique est charmante comme un éclat de rire de Rossini. C’est la musique de toutes les oreilles. Or, maintenant, laissez achever tous les embranchements des chemines de fer, et cent mille étrangers arriveront de tous les coins du monde, à Paris, tous les jours. Sur ce nombre un millier d’élus trouveront place au théâtre du passage Choiseul, et laisseront autant d’exclus dans le désespoir. Comment voulez-vous donc que cela finisse ? En ne finissant pas. Au premier jour, Paris aura absorbé Montmartre, Passy, Auteuil, Saint-Denis, Vaugirard, et les grandes artères rayonneront du centre à la circonférence, avec des caravanes d’omnibus. Surcroît de contingent donné à l’éternelle vogue d’Orphée. La queue d’une comète peut seule brise la queue de votre location. Ai-je été bien inspiré en vous demandant une loge au début de cette éternité ?
Mes amitiés et ma gratitude,
MÉRY.

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