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Courrier des théâtres

Le Figaro – Samedi 21 août 1875

Aujourd’hui comparaîtra devant le tribunal de commerce un directeur de théâtre assigné par une grande étoile de l’opérette.

Le directeur se nomme…

Laissez-moi, avant de vous faire connaître son nom, vous raconter une petite histoire qu’on se disait tout bas hier, soir sur le boulevard, de la rue Vivienne à la rue Montmartre.

Après la lecture du livret et de la musique de la Boulangère a des écus, Mlle Schneider fut trouver M. Bertrand et lui dit :

– Mon cher directeur, je ne veux pas vous mettre dans l’embarras, je viens vous prévenir que je ne jouerai pas mon rôle. Seulement je le répéterai jusqu’au moment où vous m’aurez remplacée.

– Mais pourquoi ?

– J’ai toujours eu l’habitude, aux Variétés, d’être la première, de conduire la pièce, et…

– Cependant, vous n’avez pas vous plaindre.

– Je désire des modifications :

– J’en parlerai aux auteurs.

*
* *

M. Bertrand se trouvait il y a quelques jours chez MM. Meilhac et Halévy, pour leur communiquer sa conversation avec Mlle Schneider, lorsque celle-ci entra chez ces messieurs.

– Eh bien ! ces modifications ?

– Meilhac et Halévy sont disposés à les faire, seulement, ma chère artiste, comme je n’ai pas d’engagement avec vous, vous allez me donner votre parole d’honneur de jouer le rôle tel qu’il sera après avoir été remanié.

– Je suis prête à vous donner ma parole après que Meilhac et Halévy m’auront juré de faire tous les changements que je leur demanderai.

Il paraît que ces messieurs firent un geste qui ne voulait pas dire oui, car Mlle Schneider sortit sans ajouter un mot.

M. Bertrand, d’accord avec les auteurs, engagea immédiatement Mlle Aimée pour la Boulangère.

Deux jours après ces graves événements, Mlle Schneider se présente à M. Bertrand :

– Je joue la Boulangère.

– C’est impossible ; après votre refus, je vous ai remplacée.

– Eh bien, monsieur, je vais chez mon avoué.

*
* *

Voilà la petite histoire qu’on se disait tout bas, hier soir, sur le boulevard, de la rue Vivienne à la rue Montmartre, et pourquoi M. Bertrand est assigné aujourd’hui devant le tribunal de commerce par Mlle Hortense Schneider pour avoir à lui maintenir le rôle de la Boulangère.

Gustave Lafargue.

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