(…)
UN TOUR DE GOBELET
Marié deux fois, M. Comte a eu quinze enfants du premier lit et trois du dernier il lui en reste huit, à l’heure qu’il est. A ce propos, nous avons réservé, pour le dernier, un tour du prestidigitateur émérite ce n’est ni le moins habile ni le moins original. (…) Cet enfant, né, on peut le dire, sous un gobelet, n’en fut pas moins destiné par sa famille à une vocation sérieuse. Bachelier-ès-lettres, licencié en droit, puis avocat et inscrit sur le tableau de l’ordre en 1851, il est revenu aujourd’hui au théâtre qui l’a vu naître. Après avoir administré pendant un an l’entreprise de son père, il vient d’en fusionner le privilége avec celui des Bouffes-Parisiens, et il est aujourd’hui l’associé de Jacques Offenbach.
Mais voici, pour conclure, un de ces singuliers retours de la destinée bien fait pour donner du crédit aux idées fatalistes.
Lors de la grande vogue de Collinet, le flageolet-soliste de Tolbecque, M. Comte avait fait entendre à son théâtre un de ses émules, qui exécutait à lui tout seul un duo sur deux flageolets.
En 1834, il eut l’idée d’engager un petit violoncelliste auquel l’affiche donna dix ans, et qui en réalité en avait treize. Les bandes militaires d’outre-Rhin jouaient des marches composées par ce morveux de tant d’avenir. Il obtint un tel succès au passage Choiseul, que M. Comte, pris d’un accès de générosité chaude, lui compta vingt francs pour une soirée unique.
Ce violoncelliste bambin se nommait Jacques Offenbach. Depuis ce temps, notre artiste n’a pu se décider à vieillir d’un jour ; l’affiche qui lui donne dix ans est précieusement renfermée dans son secrétaire ; il la déploie triomphalement devant les incrédules qui ont l’idée de hocher la tête en considérant sur son visage une tentative de moustache et c’est, assure-t-on, grâce à cet extrait de naissance artistique déposé au ministère, que Jacques Offenbach a triomphé de toutes les résistances et obtenu le privilége des Bouffes-Parisiens, en
qualité d’enfant prodige. C’était original, et l’on a pensé, en outre, que l’épithète était d’un bon augure pour le directeur. Amen !
H. de Villemessant et B Jouvin.
