Par date

Figaro en voyage

Le Figaro – Jeudi 1er juin 1865

II

(...)

En attendant que Wildungen-la-Grande sorte de dessous terre, mon nom, quoi qu’on fasse, y restera attaché. Voilà bien de l’orgueil, allez-vous dire Je voudrais être modeste, que la chose me serait tout à fait impossible, mes chers lecteurs. Jugez en vous-mêmes. Mon hôte, M. le baron Foissard de Lillebonne, m’a décerné un honneur réservé aux grands personnages et aux princes en voyage, l’honneur de poser la première pierre d’un édifice. M. le directeur des eaux avait arrangé avec beaucoup d’imagination tous les détails de l’imposante cérémonie. J’en étais le héros et il m’a fallu accepter un rôle si fort au-dessus de ma situation, et dans lequel a brillé toute mon inexpérience. En ma qualité de parrain du monument à naître, on m’a donné pour marraine une adorable petite fille de six ans, toute blonde, toute mignonne, et comme disent les romanciers : blanche et rose. Ma gentille petite commère se nomme Henriette, comme l’héroïne de l’Eclair. Quand j’aurai cent ans – et je compte bien vivre jusque-là, à moins pourtant que je meure avant de m’être tenu parole – rappelez- moi, chers lecteurs, cette heure de grandeur passagère, et je m’engage d’avance à en rire encore avec vous.

Le maître des cérémonies, grave comme un Allemand qui s’est promis de l’être, m’a remis dans les mains un marteau, un bouquet et une truelle. Je devais être bien imposant, mais bigrement embarrassé ! Pris par les deux mains, je me disais, comme Harpagon à la Flèche : « Où est la troisième ? J’ai flanqué une truellée de mortier sur la première pierre de l’édifice que ma commère et moi nous avons baptisé : le Grand Hôtel. Le maître maçon de l’endroit m’a harangué en allemand. L’émotion m’a empêché de comprendre et de répondre dans aucune des langues connues. Une musique, semblable à celle que les artistes nomades exécutent dans les cours... de Paris, a fait entendre le plus brillant répertoire emprunté à tous les genres le Faust de Gounod, la Traviata de Verdi, une ouverture d’Offenbach, des valses et des polkas de Strauss. Le programme, que j’ai conservé, se terminait par un « charivari » (je copie) de Bulehner. Le programme a été suivi à la lettre.

(...)

H. de Villemessant.

Par date
Rechercher
Partager