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Gazette des tribunaux

Le Figaro – Dimanche 30 juin 1867

Voulez-vous savoir comment le succès immense et inespéré de la Vie parisienne a donné lieu à un procès ? Ecoutez les explications que MM. Dormeuil et Plunket, directeurs du théâtre du Palais-Royal, donnaient hier à la 1re chambre du tribunal, par l’organe de Me Carraby.

Tout en comptant beaucoup, disaient-ils, sur le talent si sympathique d’Offenbach, et sur l’esprit de MM. Meilhac et Halévy, nous ne pouvions prévoir l’immense vogue qui attendait la Vie parisienne.

Nous savions que Brasseur, auquel étaient confiés les rôles de Prosper, de Frick et du Brésilien, avait droit à un congé de cinq mois, à partir du 1er février, mais ce que nous ne prévoyions pas, c’est qu’à la 93e représentation, la vogue irait encore en augmentant. C’est alors que nous avons songé à M. Berthelier, jadis attaché à notre théâtre, et alors sans emploi ; nous lui offrîmes de remplacer Brasseur avec 1,250 francs d’appointements fixes et 300 francs de feux par mois.

Berthelier a-t-il fait oublier Brasseur ? la question n’est pas à juger ce qui est certain, c’est que le succès de la Vie parisienne n’a pas diminué ; peut-être l’Exposition et la foule cosmopolite qu’elle attire n’ont-elles pas été étrangères à la perpétuité de ce succès.

Brasseur, dont le congé expire le 1er juillet, demande naturellement à reprendre les rôles qu’il a créés et à rentrer dans la Vie parisienne, qui en sera lundi à sa 240e représentation.

Quant à M. Berthelier, qu’il se repose ; il en a le droit, après avoir été cent cinquante- deux soirs de suite le major allemand et le prince de Mouchaballe [1]. L’administration lui continuera son traitement et ses feux jusqu’à la fin des représentations de la Vie parisienne.

Mais M. Berthier [2] ne l’entend pas ainsi, et il fait un procès pour continuer à jouer.

« J’ai été engagé, dit-il, pour jouer le rôle du Brésilien jusqu’à la fin des représentations de l’ouvrage ; j’ai obtenu un grand succès sans vouloir dire par là que j’aie réussi à faire oublier Brasseur, or, ce serait une singulière façon de la part de la direction du théâtre de reconnaître les services que je lui ai rendus en consentant à succéder à Brasseur, que de me retirer aujourd’hui le rôle sous le prétexte que je dois être fatigué. Ce que j’ai offert, en bon camarade, c’est de le partager avec Brasseur.

Il ne s’agit pas ici, dit Me Maugras au nom de Berthelier, d’une question d’argent, mais d’une question de dignité. Retirer à un artiste un rôle qu’il a joué cent cinquante fois, c’est lui infliger une humiliation. Les termes de son traité ne le permettent pas ; et s’il eût pu comprendre que l’engagement qu’on lui demandait serait interprété de cette façon, il n’eût jamais consenti à le signer.

M. l’avocat impérial Chévrier estime que la direction du Palais-Royal reste libre aujourd’hui de faire jouer à sa convenance et au mieux de ses intérêts Brasseur ou Berthelier.

Le tribunal, conformément à ces conclusions et attendu que si Berthelier s’était engagé à jouer le rôle de l’acteur Brasseur jusqu’à la fin des représentations de la Vie parisienne, les parties en référaient aux conditions d’un engagement antérieur ; – qu’aux termes de cet engagement antérieur, la direction s’était réservé le droit de ne pas faire jouer Berthelier,

Déboute Berthelier de sa demande ;

Donne acte à la direction des offres qu’elle fait de lui payer ses appointements et ses feux jusqu’à la fin des représentations de la Vie parisienne.

Ad. Rocher.

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