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La Soirée Théâtrale – La Princesse de Trébizonde

Le Figaro – Mercredi 17 février 1875

Les Bouffes ont repris ce soir l’une des opérettes les plus amusantes de leur répertoire si riche et si varié.

Grâce à la distribution nouvelle de la Princesse de Trébizonde, cette reprise avait tous les attraits d’une nouveauté. Les gentillesses de Théo, la voix d’or de Peschard, les parades de Daubray et les ahurissements de Bonnet vont, sans doute, valoir à la pièce de Nuitter, Tréfeu et Offenbach une nouvelle série de représentations fructueuses.

La salle était brillante et fort animée.

Offenbach a été retenu à la Gaîté par les répétitions de Geneviève de Brabant. En revanche, sa famille est là au grand complet. La jeune Mme Tournal, la fille récemment mariée du maëstro, voit pour la première fois une pièce de son père aux Bouffes.

À l’orchestre se trouvent MM. Lupin, de Montreuil, Dary, de Molke, Detaillé, Cahen d’Anvers, Grévin, Troubetskoï, Moreau Chaslon, de Fitz-James, de Scepeaux, etc.

Dans les loges et au balcon, Hortense Schneider avec une tunique de Chantilly sur une robe de soie grise ; Lasseny avec des fers à cheval en brillants dans les cheveux, aux oreilles et au corsage – pourquoi tous ces fers à cheval ? – Demay avec du lilas blanc partout, sur le chapeau en guirlande, sur la robe en bouquet ; Rose Marie en blanc, Christiane en blanc – que de blancheurs ! – Valtesse, l’un des pages de la première Princesse de Trébizonde, toujours rousse comme une vierge du Titien, mais ne poussant pas plus loin que les cheveux l’amour de la ressemblance, Caroline Hassé et d’autres que j’oublie et qui vont m’en vouloir pour cela.

La première de la Princesse de Trébizonde eut lieu le 7 décembre 1869. Le succès fut très grand. Je faisais déjà, à cette époque, sous le pseudonyme de Frou-Frou, les comptes-rendus anecdotiques des grandes représentations. Naturellement, j’ai voulu relire, à l’occasion de la reprise de ce soir, mon article d’il y a six ans. Qu’on me permette d’en détacher un passage d’autant plus curieux qu’il a paru dans un journal absolument dévoué aujourd’hui à la cause bonapartiste (le Gaulois) :

« Après la chute du rideau, les couloirs s’emplissent de monde. On ne circule que difficilement. Les conversations sont bruyantes et animées. Le petit singe de l’Impératrice est décidément le héros du jour. M. de Forcade a été le voir, et M. de Chasseloup-Laubat lui a envoyé sa carte.

Jocko a, du reste, aux Tuileries, un registre où les visiteurs s’inscrivent.

Les chambellans parlent de lui donner un professeur, un maître d’armes et une maîtresse de piano…

Pourvu qu’il n’ait pas de liste civile !

Hier matin, M. Dusautoy a été appelé en toute hâte aux Tuileries, auprès de l’impératrice.

– Je désirais, a dit Sa Majesté à l’ancien patron de Clément Duvernois, que vous prissiez mesure d’un vêtement complet à Jocko. Quelque chose de très simple, vous entendez. Une veste de velours comme celle que vous avez faite au petit Conneau, un gilet de satin rose, et des culottes. Ah ! je n’ai pas bien réfléchi aux culottes. Et bien ! vous lui en ferez d’absolument pareilles à celles de M. Darimond. »

Lorsque Mme Théo reprit dernièrement le rôle de Cupidon dans Orphée aux Enfers, j’ai raconté les hésitations, l’embarras, la gaucherie de la charmante petite diva qui se vit pour la première fois en maillot sur la scène et ne savait comme faire pour rallonger une jupe qu’on aurait voulue plus courte.

Eh bien ! je le constate avec plaisir, Mme Théo est en progrès.

La jupe de la jolie danseuse de corde de Trébizonde est plus écourtée encore que celle du petit dieu d’Orphée. Il est vrai que le rôle exige ce sacrifice.

Vous vous rappelez les vers du duetto sur la robe de Régina :

Qui par en haut si bas commence

Et finit si haut par en bas.

La robe de Mme Théo est conforme au programme.

Pas celle du troisième acte, par exemple, gracieuse au possible, mais longue à faire peur, une robe en satin vert de mer avec des broderies d’or sur le tablier et le corsage.

Mme Peschard, elle, a été bien heureuse de retrouver ses costumes masculins. Elle les porte crânement. Quand on l’applaudit – ce soir on n’a fait que cela – elle a une façon de saluer du chapeau qui lui assure la conquête de toutes les femmes – ce qui n’empêche pas les autres.

Un rapprochement que personne n’a songé à faire. Dans le charmant ballet de Coppélia comme dans la Princesse de Trébizonde, un jeune homme tombe éperdument amoureux d’une poupée de cire. Or, Coppélia et la Princesse de Trébizonde ont également pour auteur M. Nuitter, et les deux œuvres ont été écrites par lui à la même époque. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, que la Princesse de Trébizonde ressemble à Coppélia et réciproquement. Le hasard seul avait fait que dans le ballet et l’opérette se trouvât en même temps ce détail similaire.

La chose ne laissa pas néanmoins que de mettre pendant quelque temps au supplice le pauvre Nuitter.

Offenbach, qui est un malin, avait vu du premier coup d’œil quel parti l’on pouvait tirer de cette situation très originale et demanda à M. Nuitter de l’exploiter plus complètement : d’écrire un grand duo entre l’amoureux et la poupée de cire. M. Nuitter, ne voulant pas nuire à Coppélia, résista. Mais quand Offenbach a une idée, il n’y renonce pas facilement. Il revint donc plusieurs fois à la charge. Si bien que M. Nuitter finit par aller trouver M. Perrin, alors directeur de l’Opéra.

– Est-ce que vous tenez beaucoup, lui dit-il d’un petit air indifférent, à notre scène d’amour entre la poupée et le jeune homme ?

– Si j’y tiens, s’écria M. Perrin. Je crois pardieu bien ! C’est la perle de notre livret.

Il n’y avait pas à insister. Dès lors M. Nuitter, pour éluder les nouvelles réclamations d’Offenbach, choisit un moyen de défense qui manque rarement son but : la force d’inertie.

Chaque fois que le maestro lui parlait du duo, il répondait :

– Vous y tenez beaucoup ? C’est curieux, je ne le sens pas. Pourtant je le cherche : j’essaierai encore.

Après plusieurs réponses semblables, Offenbach se refroidit sensiblement, et un beau jour, son collaborateur, qui est un diplomate profond, fit irruption chez lui :

– Vous savez, notre fameux duo. Eh bien, je crois que je le tiens.

– Oh ! inutile, mon cher, répondit Offenbach, j’y ai tout à fait renoncé. Décidément, vous aviez raison : cela ne vaut rien, nous ferons autre chose.

La première de la Princesse de Trébizonde a fini à une heure du matin. M. Comte a pu se figurer que c’est lui qui jouait Geneviève de Brabant.

UN MONSIEUR DE L’ORCHESTRE.

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