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Courrier des théâtres

Le Figaro – Lundi 15 février 1875

La Gaîté n’est plus un théâtre, c’est une usine ; tout le monde y est sur les dents : on travaille partout, depuis le quatrième dessous jusqu’au dernier étage. Aujourd’hui commencent les répétitions générales de Geneviève de Brabant. Offenbach dirige tout, conduit tout avec la nervosité qu’on lui connaît ; ce n’est pas une mince besogne que de mener à bien cette chose si compliquée qu’on appelle Geneviève de Brabant.

Les quelques détails qui suivent ne vous en donneront qu’une faible idée, du reste ; jugez donc ce que sera à la Gaîté la petite Geneviève des Bouffes et de Menus-Plaisirs :

LISTE DES TABLEAUX

1er ACTE : La Ville de Curaçao (Lavastre et Despléchin) ; 2e ACTE : le Boudoir de Geneviève, la Chambre de Siffroi, la Grand’Place, le Départ pour la Palestine (Fromont) ; 3e ACTE : le Ravin (Lavastre et Despléchin) ; 4e ACTE : Hôtel du Levant, les Jardins d’Armide, les Arbres animés (Fromont), le Palais de diamant, le Festin magique (Lavastre et Despléchin) ; 5e ACTE : la Grotte des remords, la Justice poursuivant le crime, le Couronnement de Geneviève, le Temple de la Vertu récompensée (Greeve and son, de Londres.

BALLETS

Nounous et Bébés, les Papillons de nuit, les Charmeuses, tous trois réglés par Furch, et dansés par plus de 100 danseuses.

Thérésa aura un splendide rôle et de chanteuse et de comédienne ; Offenbach lui a composé quatre chansons, des bijoux ! Le maëstro ne s’est pas arrêté là : il a ajouté 48 MORCEAUX à l’ancienne partition ; Montaubry à deux rondeaux charmants.

Stop et Grévin n’ont pas dessiné moins de 1,200 costumes ! tout un monde enfin, que Constant et Mme Gervais ont créé en moins de deux mois.

Les bébés ont leur grande part dans la nouvelle Geneviève : à côté des géants, de nains, d’un éléphant, de chevaux, de la biche traditionnelle et d’un chien, ils auront un magnifique défilé de voitures de toutes les époques, depuis l’antique char à bœufs jusqu’au svelte vélocipède ; les cœurs sensibles auront, eux, le Défilé des Amoureux, une perle musicale !

À un moment, il y aura plus de cinq cents personnes en scène ! en comptant la troupe, la danse, la figuration et l’orchestre militaire. Ce sera inouï !

Mais arrêtons-nous, car s’il fallait donner tous les détails de l’éblouissant spectacle que prépare Offenbach, une page de journal serait insuffisante. Le tout est de savoir quand on jouera. Les uns disent samedi, les autres plus tard ; ce qui est certain, c’est que Geneviève de Brabant nous sera donnée bientôt, et c’est le principal.

Nos confrères ont publié déjà plusieurs distributions de Geneviève ; elles étaient toutes plus ou moins erronées. Voici la distribution exacte et complète :

HOMMES DAMES
Golo Christian Briscotte Thérésa
Narcisse Montaubry Drogan Matz-Ferrare
Siffroi Habay Geneviève Perret
Vanderprout Grivot Brigitte Angèle
Ch. Martel Legrenay Christine E. Gilbert
Pitou Gabel Gudule Maury
Grabuge Scipion Houblonne Durieu
Peterpipet J.-Paul Bibiane Castello
Scosthfich Colleuille Favoline Julia H.
Raoul Meyronnet Fideline Davenay
Almaviva Gaspard Marguerite Godin
Hercule Chevalier Dorothée Baudu
Otello Galli Yolande Iriart
Roméo Mallet Charlotte Albouy
Lancelot Vizentini Maguelonne Gobert
Hector Alexandre Ursule Vernet
Lahire Henri Régine Moralès
Hogier Paulin Nanny Capet
Agathe Rogues

Peuple, pages, valets, soldats, etc.

Il y avait samedi soir, à l’orchestre de la Gaîté, un journaliste qui à un moment donné, aurait préféré être à Chaillot.

La jolie personne qui répond au nom d’Angèle comme joueuse de bézigue [1] et au nom de Vénus comme interprète d’Orphée aux Enfers, avait-elle à se plaindre des critiques ou des familiarités de ce couriériste [2] théâtral ? Je ne sais et ne veux rien savoir. Toujours est-il qu’à la fin du premier acte, au moment où la lumière électrique inonde de ses rayons tout le personnel de l’Olympe qui va partir pour la Terre, Mlle Angèle-Vénus s’amusa à envoyer dans les jeux du journaliste le reflet du miroir qu’elle tenait à la main. Les camarades de l’actrice se tordaient de rire sur la scène en voyant notre malheureux confrère obligé, pour n’être pas aveuglé, de se cacher sous la banquette.

*
* *

Ce n’était pas la première fois qu’Angèle se permettait cette plaisanterie. On m’a raconté que, chaque soir, elle adoptait ainsi, dès le lever de rideau, un spectateur, et que, quand venait le moment de la lumière électrique, elle s’amusait à lancer sur lui le reflet du miroir de Vénus.

Un soir pourtant, Vénus a payé cher cette espièglerie. Elle remarqua, aux fauteuils de galerie de face, une superbe mulâtresse qu’elle adopta tout de suite. Vous pensez quelle joie d’envoyer un jet de lumière blanche sur cette figure noire ! Les camarades riaient d’avance.

Le moment venu, Angèle exécuta sa farce avec un aplomb imperturbable : la pauvre mulâtresse ne savait où se fourrer, car on riait même dans la salle.

Mais, l’acte fini, la mulâtresse alla se plaindre à l’administration, et l’impartial et inflexible régisseur Baudu colla à Vénus une amende de 100 francs que Mlle Angèle dut bel et bien payer à la fin du mois.

Jules Prével.

[1SIC

[2SIC

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