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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Mardi 12 janvier 1875

En attendant les spectacles nouveaux qu’on annonce de divers côtés, il faut savoir se contenter de ceux qu’on a. On a le choix entre Phèdre ; le Domino noir, les Pilules du Diable, l’Oncle Sam, les Brigands, Orphée, la Fille de Mme Angot, toutes pièces qui datent d’hier. Et ce serait une erreur de croire qu’il ne reste plus rien à dire à propos de ces ouvrages légendaires qui ne disparaissent des affiches que pour y reparaître quelque temps après, et dont la génération actuelle ne verra certainement pas la vraie dernière représentation.

Et tenez, tout à l’heure, dans les coulisses des Variétés, j’ai appris comment Meilhac et Halévy ont trouvé cette fameuse ronde des Carabiniers, qui a tant contribué au succès du premier acte des Brigands.

Dans le manuscrit primitif, cette ronde n’existait même pas. Les auteurs avaient imaginé une bataille comique entre les bandits et la force armée, avec coups de feu, coups de sabre et tout ce qu’il faut pour combattre.

C’était fort difficile à régler. On s’en aperçut aux répétitions. Puis, MM. Meilhac et Halévy se dirent que les coups de fusil énervent les spectatrices et qu’on pouvait bien épargner à la partie la plus charmante du public une sensation aussi pénible qu’inutile.

Quoi faire cependant ? Il était urgent de finir sur un grand effet. Mais on n’en trouvait pas de meilleur qu’un combat et on en prit son parti. On se décida à le mettre en scène. Les brigands, – comme cela se passe maintenant, – étaient, au beau milieu de leur orgie, surpris par un appel de trompettes. Aussitôt ils sautaient sur leurs fusils et les carabiniers faisaient irruption sur la scène. Bataille ! On répète. La première partie du final marche à merveille. Les trompettes sonnent. Aux armes ! Et voilà les carabiniers qui manquent leur entrée.

– Trop tard, les carabiniers ! s’écrie Rousseau.

À ces simples mots : « Trop tard ! » – Meilhac regarde Halévy, Halévy regarde Meilhac. Une seule et même idée est venue aux deux collaborateurs – une idée de génie :

– Ils arriveront trop tard ! disent-ils tous les deux.

Et le lendemain il apportèrent la fin de l’acte remanié, refait, et contenant le chœur célèbre :

Nous sommes les carabiniers.
La sécurité des foyers,
Mais, par un malheureux hasard,
Au secours des particuliers,
Nous arrivons toujours trop tard !

Je n’arrive pas trop tard à la Gaîté pour y voir Théo, cet amour d’amour, qui vient, avec Mme Peschard, de jeter un si grand éclat sur la reprise d’Orphée aux Enfers. Théo s’est habituée à sa jupe courte, Peschard s’est habituée à ses épaules nues, Cupidon et Eurydice paraissent maintenant tout à leur aise.

En l’absence d’Offenbach, Vizentini étant souffrant, c’est le régisseur de scène, M. Taigny, qui prépare la reprise de Jeanne d’Arc.

Si Taigny était un ambitieux, il pourrait se donner la satisfaction de s’asseoir dans le fauteuil directorial. Autrefois, aux Bouffes, ce fauteuil était un meuble gothique, un meuble magnifique, avec des bras en bois sculpté et doré, représentant un serpent rampant sur des petites colonnettes. À cette époque, M. Varney était chef d’orchestre du théâtre du passage Choiseul et il n’avait qu’une idée fixe, qu’un désir unique, qu’un rêve suprême : s’asseoir un jour – ne fût-ce qu’une heure – dans le fauteuil directorial. Quand Offenbach le faisait appeler dans son cabinet, il dévorait le fauteuil du regard en poussant de gros soupirs.

Le moment vint où Offenbach, fatigué, songea à passer la main comme directeur des Bouffes. Ce n’était pas bien tentant. Les Bouffes sans Offenbach étaient voués d’avance à la culbute. Mais Varney ne voulu pas prévoir des périls certains.

– Enfin ! se disait-il, je m’y asseoirai [1].

Et il prit la direction des Bouffes.

Le grand jour de l’installation arrive. Varney rassemble ses employés, son régisseur, son secrétaire, son administrateur, ses musiciens, ses artistes et solennellement, le cœur tout ému, il ouvre la porte du cabinet directorial.

Tremblant, il s’avance vers le fauteuil. Il veut s’y asseoir. O horreur ! Assez gros de sa personne, Varney ne rencontre que les serpents en bois sculpté qui l’empêchent d’entrer. Le fauteuil très confortable pour Offenbach, était trop étroit pour lui !

UN MONSIEUR DE L’ORCHESTRE.

(…)

[1SIC

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