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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Vendredi 26 septembre 1873

Répétition générale de la Vie Parisienne.

Je serais le dernier des chroniqueurs, indigne de faire une chronique, si je négligeais d’enregistrer avec tout l’empressement dû à une si importante nouvelle le mal de gorge dont souffre depuis quelques jours la charmante madame Théo. Un mal de gorge sans gravité, et dont les spectateurs de Pomme d’Api ne s’aperçoivent seulement pas, bien qu’il ait interrompu un instant les répétitions de Moucheron, mais à quoi servirait d’être étoile, si les astronomes du journalisme n’avaient pas leurs télescopes incessamment braqués sur vous et ne tenaient le monde au courant de leurs observations ? Madame Théo a mal à la gorge c’est le fait le plus sérieux de ma soirée théâtrale !

Quand je dis le plus sérieux, entendons-nous.

Il y a des soirs où le passage des Panoramas offre un étrange spectacle. Dans la galerie dite des Variétés, des hommes mystérieux se glissent comme des ombres. Ils franchissent silencieusement le seuil du théâtre, avec des allures de faux monnayeurs allant accomplir leur criminelle besogne.

Ils jettent à voix basse le mot d’ordre au concierge, qui scrute avec défiance le visage de tous les arrivants ; puis la porte se referme sur eux, et on n’entend plus rien.

Ces soirs-là, il y a répétition générale aux Variétés.

Ne va pas aux répétitions qui veut. Les directeurs aiment à s’entourer de mystère, – même quand il s’agit de pièces connues. Et ce n’est pas moi qui leur donnerai tort.

Rien n’est plus fait pour dérouter les gens « qui ne sont pas du bâtiment » que les répétitions, fussent-elles générales. Il y a naturellement toujours quelque chose qui cloche – un costume que la couturière n’a pas livré, un décor qui n’est pas prêt. Par exemple au milieu d’un palais chinois, se trouve un fauteuil en acajou et velours rouge. Aussitôt les gens « qui ne sont pas du bâtiment » accourent vers le directeur.

– Mon cher ami, disent-ils, cela marche à merveille… Ce sera certainement un grand succès… cependant, je crois que vous ferez bien de faire attention aux accessoires. Votre fauteuil en velours rouge fait un effet déplorable.

Le directeur a beau leur expliquer que le fauteuil doit être remplacé par des tabourets en laque, ils restent persuadés qu’on a négligé la couleur locale.

Une autre fois, un portant ayant fait défaut, on voit une cheminée surmontée d’une glace sans tain surgir en pleine place publique.

Les mêmes gens « qui ne sont pas du bâtiment » accablent le même directeur de leurs observations.

– Certainement cela ne manque pas d’originalité, cette cheminée sur une place publique, mais c’est trop fantaisiste… le public ne comprendra pas

Et le directeur donne ces gêneurs à tous les diables. C’est bien fait. Pourquoi a-t-il laissé pénétrer dans sa salle des gens « qui ne sont pas du bâtiment » ?

Aux Variétés on échappe à ces inconvénients, en consignant à la porte tout l’élément étranger.

A part quelques rares privilégiés, personne n a trouvé grâce devant le concierge.

Dans une loge des premières, madame Bertrand ; les autres loges sont vides : tout le monde s’est installé à l’orchestre où le côté droit est exclusivement réservé aux autorités de la maison : MM. Meilhac, Halévy, Bertrand, Rousseaux et un personnage influent le chef de claque, prenant des notes à qui mieux mieux.

Le maëstro Offenbach n’est arrivé qu’au second acte.

Dans le reste de l’orchestre ; quelques journalistes et les artistes du théâtre qui ne jouent pas dans la pièce.

La salle est brillamment éclairée. Pas de housses sur les sièges, pas de ces vilaines, toiles grises qui d’ordinaire, aux répétitions générales, pendent sinistrement le long des galeries. Tout a un air de fête, comme il convient à une opérette de Meilhac, Halévy et Offenbach.

On dirait une première – sans spectateurs.

En passant, je jette un coup d’œil dans la salle de l’Opéra. On joue la Juive. Quelques rares abonnés. Toujours beaucoup d’étrangers.

L’exécution m’a paru faiblotte.

Dans toute la soirée, je n’ai vu de vraiment enchantée que la tour qui figure dans le ballet.

Un monsieur de l’orchestre.

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