La Gaîté a le privilège des premières belles entre toutes ; il y a bien longtemps que l’on n’avait vu une aussi magnifique salle. Les femmes, et les plus jolies, sont en majorité ; on voit des toilettes splendides jusqu’aux deuxième galeries.
Il faut dire que dans la journée les fauteuils se vendaient dans les environs de 200 francs. De façon que l’on a été bien heureux encore de trouver place aux stalles et aux galeries élevées.
Tout le monde artistique est là, aux fauteuils. Nous voyons Mlle Zulma Bouffar, qui créa avec tant d’esprit, aux Menus-Plaisirs, le rôle de Drogan, que joue maintenant Mme Matz-Ferrare, retour d’Odessa.
La salle est fort bien disposée. On est tellement habitué aux calembours de Christian, on les attend tellement, que toutes les fois qu’il ouvre la bouche on croit qu’il en fait un ; il se trouve toujours une centaine de personnes qui rient de confiance.
Dieu sait d’ailleurs qu’il en commet pas mal, c’est ce qui faisait dire l’autre jour à une des filles d’Offenbach :
– Mon Dieu, père, comme c’est désagréable : tu as prêté ta voiture à M. Christian ; il va nous la rendre pleine de calembours ; il faudra l’envoyer chez le carossier.
Quel succès pour Gabel, qui joue avec Scipion les deux fameux gendarmes !
La salle entière les a obligés par deux fois à bisser les deux couplets célèbres :
Ah ! qu’il est beau ! etc., etc.
Geneviève de Brabant a été montée dans des conditions de rapidités tout à fait surprenantes.
C’est en soixante-cinq jours net que la pièce a été remaniée, répétée, mise en scène et jouée.
L’honneur en revient pour la plus grande partie à Offenbach, qui pendant tout ce temps n’a pas quitté le théâtre, arrivant le premier et s’en allant le dernier.
Gloire aussi à Vizentini, qui pour sa part a imaginé, réglé et fait exécuter le cortége amusant des moyens de locomotion avec les 108 enfants qui le composent.
Au moment du défilé, il y a en scène 465 personnes qui se décomposent ainsi :
108 enfants,
60 danseuses,
27 artistes,
90 choristes
180 figurants.
Vous devez penser que la scène est bien encombrée, c’est ce qui a forcé le théâtre à ne pas se servir du grand éléphant qui devait figurer.
On a supprimé, également, six chevaux que la musique effrayait et faisait piaffer au point que l’on craignait toujours qu’ils n’allassent se jeter dans l’orchestre ou écraser les pieds des masses.
Il en reste quatre seulement. Et à ce propose est-ce que M. Montaubry ne serait pas un excellent écuyer ? Il nous a paru caresser son cheval avec une amitié un peu intéressée.
Parmi les belles choses que l’on a coupées, il faut citer les jardins d’Armide, ou des femmes sortaient des fleurs ; où les lucioles coudoyaient des vers luisants.
Ce tableau nécessitait un trop long entracte. Mais patience, nous ne perdrons irne pour attendre, on noue le réserve pour la centième.
Supprimée aussi la biche de l’avant dernier tableau.
C’est une charmante bête, jolie à ravier, mais douée d’un amour exagéré pour les mauvaises plaisanteries. Le premier jour, elle a voulu avaler la jolie Mme Perret, c’eût été grand dommage ! La biche s’est contentée de manger le doigt de son gardien. Adorable animal !
On s’est privé de ses services.
Hier, au dernier moment, cinq minutes peut-être avant de le jouer, on a coupé tout un tableau qui faisait longueur.
On va bien à la Gaîté.
Le chien qui figure au cortége est un superbe lévrier qui habite Montrouge. On a pour lui toute sorte d’égards : on lui fait faire un superbe paletot de velours, on lui a donné, pour collier la couronne qui servait aux rois de France sous les précédentes directions ; malgré cela, il n’est pas satisfait et toutes les fois qu’il le peut, il s’échappe pour regagner Montrouge.
Aussi est-il surveillé avec le plus grand soin par le figurant qui le tient en laisse.
C’est un bossu dont on a fort soigneusement dissimulé la gibbosité. Quand l’administration a demandé un bossu, il s’en présenta trente-trois, on n’eut que l’embarras du choix.
L’apothéose vient d’Angleterre. Nous ne reparlerons plus longuement un autre jour.
Thérésa a été, je ne sais pourquoi, prise d’une peur bleue ; c’est pour cela, sans doute, qu’elle avait mis à son bras comme un fétiche le bracelet qui lui fut donné le soir de la centième de la Chatte blanche, son premier succès à la Gaîté.
À propos, vous savez : malgré toutes les lettres et tous les avis, on n’a commencé qu’à huit heures moins dix.
À sept heures et demie, heure fixée, la salle était aux trois quarts vides.
Quand donc se résignera-t-on dans le public à être exacte et au théâtre à commencer quand même ?
GEORGES BOYER.