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La semaine théâtrale

La Presse – Lundi 26 décembre 1864

Variétés : L’Enlèvement de la belle Hélène [1], opéra-bouffe en trois actes, de MM. Meilhac et L. Halévy, musique de M. Offenbach. (...)

Je me récuse pour parler de l’Enlèvement de la Belle Hélène, comme je ferais si je devais rendre compte d’une pièce écrite en langue étrangère. J’adore ce qu’elle bafoue et je vénère ce qu’elle railte. Ses lazzis m’attristent, ses charges me scandalisent ; le sens de sa gaîté me manque aussi complètement que celui d’un concert chinois ou d’une farce [mot illisible]. La parodie a toujours été pour moi lettre close. Je n’ai jamais compris cette sorte de plaisanterie qui consiste à faire d’un roi un paillasse, d’une héroïne une maritorne, et d’un demi-dieu un polichinelle. C’est le comique de ces images à deux sous, enluminées pour les enfants, où l’on voit les lièvres tirer sur les chasseurs, et des hommes attelés traîner des chevaux qui s’étalent sur les coussins d’une voiture. Mais ce genre ennuyeux devient, pour moi, un genre haïssable, lorsqu’il s’applique aux dieux et aux héros de l’antiquité. Sans attacher plus d’importance qu’il ne convient à des facéties, j’en suis choqué comme d’un sacrilège. Il me semble voir ces caricatures crayonnées sur un marbre grec ou sur les marges d’Homère. Il faut bien, que leur bouffonnerie corresponde à une fibre de la rate humaine, puisqu’elle se détend si largement a l’aspect d’un dieu déguisé en pitre ou d’une statue changée en Magot. Mais ce rire inintelligent part d’un mauvais instinct chatouillé : c’est celui qu’excitent, dans les multitudes, le spectacle des grandeurs déchues ; c’est le rire du Barbare buvant dans les calices d’un temple et tirant la cible sur ses bas-reliefs.

Le procédé de la parodie des sujets antiques est d’ailleurs à la portée des plus simples. On pourrait l’apprendre en une séance, – succès garanti – comme la potichomanie ou la découpure. Ce procédé est celui du rapin coiffant d’un bonnet grec le buste de Jupiter, ou charbonnant des moustaches sur les lèvres de la Diane Chasseresse. Transformez Vénus en gourgandine, Achille en pleutre, Jupiter en père-dindon, l’Amour en voyou mettez un abat-jour sur le front d’Apollon et une bouteille à douze dans la main de Bacchus ; changez la draperie en torchon et la sandale en savate ; traduisez un chant de l’Iliade ou de l’Enéide en argot des petits théâtres, et le tour est fait. – L’anachronisme est encore un des oripeaux obligés de ce carnaval. Agamemnon tirant sa montre ; et prenant lechemin de fer d’Argos pour arriver à temps a la Bourse, mettra la salle en gaîté. Vénus, donnant à Adonis sa photographie, fera rire aux larmes.

Quoi de plus vieux pourtant, de plus rebattu et de plus usé que cette Antiquité en goguette ! Ses mascarades montraient déjà la corde au temps de Scarron ; et, pourtant, la mythologie, réduite alors au plat système d’Evhémère, pouvait prêter à l’irrévérence. Mais aujourd’hui que la science moderne a retrouve la clé des symboles antiques. leur parodie n’a plus aucun sens. Les Dieux restitués à leur vraie substance, replacés au sein de la Nature, dont ils personnifient les énergies et les grâces, sont inviolables comme des éléments. Le soleil, les étoiles, l’éther, resplendissent à travers leur blanche nudité : la mer flotte dans leur chevelure, des fleuves s’épanchent de leurs lèvres, des astres flamboient dans leurs yeux. – C’est fouetter l’Océan que bafouer Neptune. Railler Jupiter, le Zeus homérique, c’est, – à la lettre, – cracher en l’Air.

Ne serait-il pas temps d’en finir avec ces froides facéties qui rabaissent l’esprit du public, en l’accoutumant à railler le Beau et à huer le Sublime ? Il est cruel de retrouver sur les planches d’un théâtre, affublées de la queue rouge des jocrisses, ces figures grandioses ou gracieuses qui ont créé le monde de l’art, et qui se meuvent si harmonieusement dans la pure lumière des chefs-d’œuvre. La farce qui s’installe en plein Homère et en plein Virgile est aussi choquante que le serait un tréteau criard dressé entre les colonnes du Parthénon athénien.

Ne laissons pas entrer le grotesque dans ces poèmes sacrés ; il les dégrade et iI les profane. On défend aux masques l’entrée des Musées. – Thersite roule sa bosse dans le prologue de l’Iliade ; iI tient tête un moment aux héros chaussés de belles cnémides et drapés de pourpre. Mais il ne trouble pas longtemps de sa voix criarde l’auguste harmonie du poème. L’épopée ne le laisse enjamber son seuil que pour l’en repousser avec colère ; et lorsque Ulysse, d’un coup de son sceptre d’or, le chasse de l’Iliade, aux applaudissements de l’armée, je crois voir le Génie de la Grèce bannissant la Laideur de son calme empire.

Ce n’est pas aux auteurs de la Belle Hélène que ce discours s’adresse, mais au public qui encourage leurs écarts : ils n’ont fait que lui servir un plat de son goût. M. Ludovic Halévy est excusé par le grand succès d’Orphée aux Enfers, auquel il a voulu donner un pendant. M, Meilhac qui, dans ses bons jours, imite et modernise Marivaux, peut nous répondre que son maître a rimé l’Iliade travestie. Encore une fois, je n’ai pas à juger leur pièce ; sa fantaisie me dépasse et son esprit me déroute. Le premier acte a soulevé de fous rires ; les deux derniers ont semblé languissants et vides. Mais le succès était lancé ; on prédit qu’il ne s’arrêtera qu’à la centième représentation.

MM. Meilhac et Halévy ont mis en scène la complainte de la belle Hélène M. OH’enbach s’est charge dû charivari. Sa partition est, d’un bout à l’autre, une caricature musicale-vive, alerte, facile, spirituelle mais je regrette de n’y pas trouver des relais dans la pirouette et des pauses dans l’éclat de rire. Ce ne sont que batteries syllabiques, cacophonie d’Orchestre, jeux de sons baroques, mélodies commencées par un soupir et terminées par un calembour. Signalons, cependant, au deuxième acte, les couplets fins et gracieux chantés par Hélène. –Cela fait l’effet d’un sourire entre deux grimaces.

C’est Mlle Schneider qui joue le rôle d’Hélène. Les vieillards de Troie ne se lèveraient pas devant elle, mais l’orchestre des Variétés applaudit à tout rompre ses cascades vocales et ses gestes carnavalesques. Dupuis vous représente le berger Pâris. Daumier signerait Couder travesti en Agamemnon et Grenier grimé en Calchas ivrogne et fripon.

(...)

Paul de Saint-Victor.

[1sic

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