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Théâtre impérial de l’Opéra-Comique

Revue et gazette musicale de Paris – 14 mars 1869

Vert-Vert, opéra-comique en trois actes, paroles de MM. Henri Meilhac et Charles Nuitter, musique de M. Jacques Offenbach (première représentation le 10 mars 1869).

Je n’ai jamais été bien partisan de ces transfigurations qui d’un roman ou d’un conte font un ouvrage dramatique, et qui changeant parfois l’aspect de types consacrés, ouvrent comme aujourd’hui à un ancien vaudeville les portes de l’Opéra-Comique, lequel réclame surtout une certaine dose de distinction, je dirai même plus, un bon goût conventionnel fort difficiles à allier avec le laisser-aller et la grosse gaieté d’un autre genre.

Le nouveau Vert-Vert sera bien la preuve de tout ceci. En effet, en 1832, MM. de Leuven et Desforges écrivent un vaudeville inspiré par le Vert-Vert de Grésset. Un succès énorme les en récompense. Ce fut l’une des plus charmantes créations de Mlle Déjazet, et deux cents représentations consécutives firent foi de la réussite. Aujourd’hui, deux poëles lyriques d’un réel talent et fort aimés du public se réunissent au compositeur le mieux disposé par tempérament à traiter un pareil sujet, et les voilà tous trois à l’oeuvre pour adapter cet ancien succès à la scène de l’Opéra-Comique. Il y aurait injustice à ne point le reconnaître, leur travail est bien fait, le tact y a présidé, la musique est souvent charmante, et cependant leur pièce est contestable. Avais-je raison de dire que ces transfigurations sont pleines d’écueils ?

Quoique le canevas du nouvel opéra-comique soit tout à fait le même que celui du vaudeville de MM. de Leuven et Desforges, je crois devoir le raconter, car beaucoup de mes lecteurs et surtout de mes lectrices n’ont pas l’âge de connaître la pièce primitive.

Nous sommes, non pas dans un couvent, mais dans un pensionnat de demoiselles, et il faut tout de suite vous dire que si vous avez une fille vous ferez fort bien de ne pas l’y faire élever. En effet, il s’y passe des choses étranges dans ce pensionnat. La directrice est invisible comme Mme Benoiton, la sous-directrice est mariée secrètement au maître de danse Baladon et lui donne nuitamment des rendez-vous dans le jardin. Voici encore deux pensionnaires mariées non moins secrètement à deux capitaines de dragons, ce qui fait qu’il pleut des uniformes par-dessus les murs. Il y a aussi un petit neveu de la directrice, élevé comme une demoiselle, doux, timide, ignorant des choses de la vie, et qui partage les jeux de ses compagnes. Il n’a pas de barbe, c’est vrai, mais il a vingt ans, et il existe une demoiselle Mimi avec laquelle il joue plus souvent qu’à son tour. Quel singulier pensionnat !

Le rideau se lève sur le dernier épisode du poème de Gresset. Le perroquet chéri de la maison vient de mourir ; on l’enterre dans une plate-bande par les soins du jardinier Binet, toutes les pensionnaires pleurent et le jeune neveu chante une oraison funèbre à la satisfaction générale. « Vert-Vert est mort ! s’écrient ces demoiselles, vive Vert-Vert ! » C’est le petit neveu qui héritera du nom ; il sera choyé, gâté, dorloté, comme l’était Vert-Vert Ier . Mais, hélas ! un nuage passe à l’horizon. Au moment où vont commencer toutes ces béatitudes, un ordre de l’invisible directrice envoie Vert-Vert II en voyage sous la conduite du jardinier Binet. Croyez-vous donc que Mlle Mimi acceptera cela sans aviser ? Non pas ! Ayant trouvé dans un pavillon du jardin l’un des uniformes dont nous parlions tout à l’heure, elle s’en affuble, et, profitant d’une porte ouverte, s’enfuit à la suite de celui qu’elle aime. Quel singulier pensionnat !!

Le second acte nous transporte dans une auberge où vont se rencontrer les maris de nos pensionnaires, se consolant de leur veuvage temporaire et faisant la cour à la première chanteuse du théâtre, la Corilla. On attend un ténor que doit amener le coche pour la représentation du lendemain. C’est au milieu de tout ce monde qu’arrive aussi, par le coche, le timide Vert-Vert, escorté de son fidèle Binet. Mais le ténor est enrhumé, et Vert-Vert a une si jolie voix ! On le presse de le remplacer, il refuse d’abord ; cependant, les beaux yeux de la Corilla le décident, et la répétition commence. La pauvre Mimi, sous son uniforme de dragon, voit tout cela et se désespère. Fort heureusement une reconnaissance a lieu entre elle et nos deux vauriens de maris. Elle est l’amie intime de leurs femmes, et tout va s’arranger pour le mieux. Les dragons feront le sac du pensionnat, ramèneront le léger Vert-Vert, enlèveront leurs femmes et réintégreront du même coup l’imprudente Mimi sous les verrous de la pension. On achève de griser Vert-Vert, et tout le monde part pour l’expédition.

Le troisième acte nous ramène dans le jardin. Nous assistons d’abord à une leçon de danse, donnée par l’irrésistible Baladon, puis les péripéties du dénoûment commencent à défiler. On s’est aperçu de l’absence de Mimi, on la cherche partout, mais elle arrive juste à l’instant où l’événement allait s’ébruiter. Son entrée rappelle tout à fait le retour d’Angèle au troisième acte du Domino noir ; Vert-Vert et Binet arrivent à leur tour, mais, bon Dieu ! qu’ils sont changés. Vert-Vert jure et embrasse toutes ces demoiselles ; quant à Binet, les dragons lui ont dit qu’il était bel homme, et il ne rêve plus que casque et ceinturon. Enfin, les maris de ces dames viennent les chercher ; ils réclament en même temps Vert-Vert et Mimi, et, comme la sensible sous-directrice s’est laissée surprendre en tête à tête avec le maître à danser, elle n’a rien à refuser et accède à toutes ces réclamations. Dieu merci, la directrice est toujours à la cantonade, et ne gêne en rien les petits arrangements de ce pensionnat matrimonial.

De tout ceci il résulte une pièce mouvementée, mais qui pêche par le défaut d’intérêt et de véritable gaieté. C’est plus qu’un vaudeville, et c’est moins encore qu’un opéra-comique. Faisons maintenant la part de la musique d’Offenbach ; cette part sera meilleure.

Le public a applaudi de grand cœur une foule de charmantes idées ; sauf le finale du second acte dont la gaieté nous a paru factice et trop bruyante, tout l’ouvrage du musicien a rencontré des sympathies et de l’approbation. L’ouverture débute peut-être un peu ambitieusement, mais nous y avons remarqué un très joli motif à 2/4 dit par les violons en sourdine. Un chœur de pensionnaires, coupé par une ariette de Capoul :

Ci-gît Vert-Vert,
Ci-gisent tous les cœurs,

précède un très-agréable morceau d’ensemble commençant par un trio de femmes qui peut-être a le tort de rappeler un peu la chanson des trois cousines de la Périchole. Mentionnons un joli trio entre Sainte-Foy, Gailhard et Mlle Moisset. Il s’y trouve une romance pour baryton qui a valu a M. Gailhard un bis des plus chaleureux. Le petit duetto de la clef entre Mlle Révilly et Couderc est intéressant. Une romance de Mlle Cico (Mimi), accompagnée par le cor, a été l’occasion d’un véritable succès pour M. Baneux. Arrivons enfin à la perle de cet acte, la romance de Capoul (Vert-Vert) :

Oui, l’oiseau reviendra dans sa cage
Retrouver le bonheur qui l’attend.

Voilà une réelle inspiration, chantée du reste à ravir, et qui a soulevé un de ces bis formidables qui sont la manifestation de toute une salle.

Dans le second acte, Mlle Girard (la Corilla) a parfaitement enlevé un air de maëstria, surabondamment pourvu de roulades. Nous avons encore à mentionner un bis sur de tout petits couplets de Vert-Vert, Alleluia, dans une couleur vieillotte qui a plu beaucoup. Moi, je citerai particulièrement l’air du Coche, chanté par Capoul, pour son accompagnement imitatif. Cela est excessivement joli et atteste son musicien émérite. Cet acte renferme encore un duo entre Mlle Girard et Capoul, un trio entre Gailhard, Potel et Mlle Cico et un air à boire en forme de valse.

Dans le troisième acte nous trouverons l’air fort original de Couderc donnant la leçon de danse ; un chœur de caquetage ; l’air de Vert-Vert émancipé, d’un goût quelque peu contestable ; le duetto de la déclaration, entre Mlle Cico et Capoul, dans cette gamme qu’Offenbach connaît si bien, et un ravissant quatuor en demi-teinte qui est bien l’une des plus jolies choses de la partition.

L’interprétation ne mérite que des éloges. Capoul, dont le rôle est très-développé, reste toujours l’enfant gâté du public. Il a obtenu succès sur succès. Qu’il se ménage pourtant ; la tâche est lourde, car il a beaucoup à chanter. Mlle Girard, dans son rôle de second plan, a fait merveille, comme toujours. Gailhard a produit le plus grand effet ; sa belle voix et sa grande manière de phraser font augurer le plus bel avenir pour ce chanteur tout jeune encore. Mlles Cico, Tuai et Moisset portent parfaitement le costume de pensionnaires. Couderc reste toujours le comédien que vous savez. Sainte-Foy est amusant quand même. Potel s’est fait remarquer dans le personnage d’un capitaine de dragons. Il gasconne de la plus plaisante manière et porte un grand sabre, qu’il veut toujours mettre dans le ventre du premier venu, il m’a rappelé le sabre, le sabre, le sabre de mon père ! Félicitons enfin la direction du soin qu’elle a apporté à monter cet ouvrage, dont les décors, les costumes et la mise en scène ne laissent rien à désirer.

Paul BERNARD.

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