Les journaux anglais nous apportent des nouvelles qui doivent consoler les cœurs patriotes ulcérés par la victoire de the Earl : la Grande duchesse de Gérolstein fait fureur à Londres. Ce produit essentiellement français, quoiqu’il soit composé par un Allemand, a mis le feu à ces cervelles britanniques, et la gloire du général Boum fait pâlir là-bas celle de Wellington. L’Achille sans caleçons d’Hyde-Park rend les armes à l’Achille en culotte de peau du théâtre des Variétés...
Quelques esprits chagrins seuls se sont avisés de trouver improper et schoking le pas de quatre que l’archet d’Offenbach fait danser à cette souveraine fantastique d’un grand duché qui n’existe pas. Ils ont vu là une allusion directe à la reine, et ils ont protesté au nom de Sa Majesté outragée. Mais la protestation n’a pas fait grand bruit : ces deux ou trois spectateurs se sont contentés de prendre leur chapeau et de se retirer en fredonnant le God save the queen.
Ils n’ont d’ailleurs réclamé ni le secours du policeman, ni les ciseaux de la censure, ni les sévérités de la loi. Ils veulent seulement que, dans un pays où règne une femme, tout citoyen soit libre de ne pas voir railler sur la scène les royautés en cotillons et les sceptres tombés en quenouilles.
Nous, qui sommes meilleurs enfants et qui entendons la plaisanterie, nous n’avions pas aperçu tant de choses dans cette Grande-Duchesse de Gérolstein. Nous avions ri tout bonnement. La vérité pourtant est que cette pièce est difficile à jouer dans un pays où la loi salique est inconnue. Sous une régence, elle serait impossible.
Ce ne serait pas, il est vrai, la faute de Meilhac, et point du tout celle d’Halévy je ne dirai même pas que ce serait la faute de la régence. (...)
Candide.