On lira demain à la Renaissance la nouvelle pièce de MM.. Edmond Gondinet, Georges Duval et Robert Planquette.
Voici, à ce propos, une lettre que M. Edmond Gondinet a écrite au sujet de cette pièce a son collaborateur Georges Duval et la réponse de ce dernier :
Mon cher collaborateur,
Je vous rends intact et tel qu’il m’a été remis avec les annotations du regretté Clairville, – dont personne plus que moi n’appréciait le talent – votre manuscrit du Régiment qui passe.
Quand j’avais promis amicalement, et pour les obliger, à Planquette et au directeur des Folies d’arranger votre pièce, – sans prime, sans me faire nommer,– c’était parce qu’elle devait passer après Pâques fleuries et qu’il y avait urgence. La pièce n’est plus nécessaire, je ne m’en occupe plus : voilà tout. Je n’avais pas à me préoccuper du traité Planquette et on ne m’a jamais mis en mesure de le faire. Dans un cas identique, j’ai appris, à la 100e du Grand Casimir que Lecocq avait un traité avec M. Koning.
Au moment ou le Figaro annonçait, un peu prématurément, que le Régiment qui passe allait aà la Renaissance, j’étais persuadé, – je le suis encore, – que personne ne pouvait s’y opposer.
Mais la question n’est plus là.
Par la lettre que vous m’avez communiquée depuis, les héritiers Clairville, me donnent bien la permission de travailler à leur troisième acte, qui a, en effet, besoin de quelques retouches puisqu’il se passe soixante-quinze ans après le second, avec les mêmes personnages. Mais ils me dénient le droit de rien changer aux deux premiers qui sont parfaits ; pas un point, pas une virgule, et M. le directeur des Folies leur a donné sa parole qu’il en serait ainsi. Comment M. le directeur des Folies pourrait-il maintenant me demander un travail que je ne devais pas faire, — il en a donné sa parole ?
Je n’avais qu’un parti à prendre et je l’ai pris. – J’ai retiré avec empressement l’intrigue nouvelle et les personnages nouveaux que je vous proposais, bien à tort sans doute, d’introduire, dans votre pièce. Cette intrigue devient, en la développant sous son aspect particulier, une pièce absolument, distincte, qui n’aura rien emprunté, vous le savez, à votre Régiment qui passe, lequel pourra se jouer, quand il vous plaira, sans mon intervention.
Je ne veux avoir aucun rapport avec les héritiers Clairville ; je ne les ai d’ailleurs jamais vus ils ne m’ont jamais écrit.
Je ne connaissais et je ne devais connaître que la collaboration Clairville père et Georges Duval. Vous la représenterez seul aujourd’hui.
Or, vous ayez reconnu qu’il n’y avait rien de commun entre la pièce qui reste aux Folies et celle qui va à la Renaissance : il serait bien facile, d’ailleurs, de le faire décider.
Il ne me plaît pas que cette question soit soulevée.
J’ai eu votre manuscrit, retouché par Clairville, dans les mains. – Cela me suffit pour que je tienne à ce que vous repreniez, dans la pièce nouvelle et au même titre, la situation que vous aviez dans celle dont j’avais cru pouvoir m’occuper.
Quant à la prétention qu’aurait l’administration des- Folies de faire admettre’ que je n’ai pas le droit d’écrire, avec qui bon me semble, pour un autre théâtre, vous me permettrez d’en rire.
Le papier timbré qu’a ̃reçu Planquette ne me paraît pas plus sérieux, quoique timbré. Pour,, moi, Planquette « fef- absolument libre. D’abord, parce qu’on le lui a formellement dit, devant moi, on présence de M. Blondin, codirecteur des Folies. Cette raison devrait dispenser des autres.
Et puis, si, par son traité, le théâtre des Folies lui devait un poème en 1879, – il n’a jamais eu, en 1879, de poème complet. Au moment où il allait l’avoir, on a déclaré qu’il n’était plus nécessaire. On m’a ainsi arrêté dans mon travail, et arrêté avec un tel sans-façon méridional, que je suis guéri pour toujours du théâtre des Folies.
La vérité est qu’on avait une autre pièce, dont on ne m’avait pas parlé, – sans quoi je me serais immédiatement retiré. On était engagé, – et pas avec le premier venu, – avec Offenbach, qui, un instant souffrant, était vite revenu à la santé, avait achevé sa musique et réclamait son tour, ce qui était de toute justice. – De plus, les deux pièces, toutes les deux militaires, se passant à la même époque, avec les mêmes uniformes, ne pouvaient pas se jouer au même théâtre dans la même année, – à moins de transporter aux Folies l’ancien Cirque olympique. – Planquette a dû céder le pas à Offenbach, ce qui ne blesse certainement pas son amour-propre, ni le nôtre, n’est-ce pas ? Mais, alors, redevenons tous libres, c’est la moindre des choses.
Au fond, cela ne me regarde pas. Mais je ne peux m’empêcher de trouver très intéressante la situation d’un jeune compositeur qui a eu un énorme succès avec sa première pièce et qui attend l’heure de faire représenter la seconde. Gardez bien cette trop longue lettre et croyez-moi votre
Edmond Gondinet.
Mon cher collaborateur,
J’ai reçu votre lettre et vous en accuse réception. – C’est vraiment bien du bruit pour peu de chose. Vous ne relevez que de votre conscience et de votre talent ; l’un et l’autre sont au-dessus de tout soupçon.
Je suis actuellement le seul propriétaire vivant du Régiment qui passe, que M,. Cantin me dispute avec un acharnement que tous les directeurs devraient mettre à me jouer. Je ne sais ce qu’il adviendra du procès pendant, bien que tous les droits soient de mon côté et de celui de Planquette. En tout cas, mon cher collaborateur et mon cher maître, quoi qu’il arrive, soit avec les héritiers Clairville, soit avec le théâtre des Folies-Dramatiques, je vous dégage entièrement de toute responsabilité.
Croyez à ma sincère amitié.
Georges Duval.
Ou nous connaissons peu M. Cantin, ou nous sommes persuadé qu’il répondra à ces deux lettres. Il est bien entendu que nos colonnes lui sont ouvertes, comme elles l’ont été à MM. Gondinet et Duval. Nous ne pouvons nous empêcher toutefois de regretter une semblable polémique, qui n’a guère d’objet, puisque les tribunaux sont saisis de l’affaire et prononceront, prochainement leur verdict.
François Oswald.