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Gazette de Londres

Le Figaro – Samedi 11 avril 1868

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Le peuple anglais n’a pas de parti pris en musique. Beethoven ou Offenbach, Mozart ou Hervé, peu lui importe. En revanche, le chef d’orchestre de l’Alhambra a une préférence marquée pour la musique sérieuse. Quand il dirige l’ouverture du Freyschütz, il met des gants blancs à quatre boutons ; lorsqu’il accompagne une chansonnette, il ôte ses gants ; c’est sa façon de protester contre la musique légère.

L’époque austère que nous traversons n’a pas été sans influence sur le programme de l’Alhambra. Ainsi, pour ne pas effaroucher le recueillement du public pendant la semaine sainte, on a intercalé la danse profane de Finette entre deux morceaux du Stabat mater de Rossini.

(...)

Le nez de Finette rentre sur la scène ; il a déjà disparu que le petit crevé de la loge lui envoie encore deux ou trois saluts. Le chef d’orchestre remet ses gants. L’orchestre exécute un fragment du Stabat mater. La foule est fiévreuse, frémissante ; la vaste salle est bondée ; les garçons ne peuvent plus circuler avec les rafraîchissements ; le cornet à piston fait merveille dans le Stabat, on ne l’écoute pas.

– Elle va venir s’écrie-t-on, elle va venir !

En effet, voilà le chef d’orchestre qui ôte ses gants. L’orchestre entame un quadrille. La foule bat des mains. Enfoncé Rossini !

La toile se lève. Le théâtre représente le jardin Mabille, éclairé de mille feux. Au fond l’orchestre, le café, les palmiers en zinc, la foule panachée.

Vingt pierrettes s’élancent en scène ; vingt autres les suivent. Voici douze blondes Anglaises déguisées en arlequins, des débardeurs et des pierrots qui envahissent le théâtre en tout, soixante-dix danseuses qui gigotent, tandis que le chef d’orchestre, sans gants, dirige le quadrille de Geneviève de Brabant.

On dirait un tableau de féerie de la Porte-Saint-Martin. Mais c’est à peine si ce corps de ballet arrache à la foule un faible applaudissement. Il lui faut Finette ! Où est Finette ? Si elle était malade ! Grand Dieu ce serait un deuil public !!

(...)

Albert Wolff.

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