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La soirée parisienne

Le Gaulois – Mercredi 7 mai 1879

LA VIE PARISIENNE

Des vœux officiels récemment exprimés, des autorisations depuis peu prononcées l’ayant mis en licence, le théâtre des Variétés après avoir vaguement songé à reprendre les Pommes de terre malades, ou bien encore la Propriété c’est le vol, s’était décidée pour la Liberté des théâtres.

On croyait pouvoir monter la pièce en quelques jours M. Bertrand, qui est un homme soigneux, comprit bien vite qu’il lui faudrait plusieurs semaines.

D’autre part, il n’aurait pour rien au monde voulu laisser échapper la Vie parisienne, qui a remplacé le Chapeau de paille d’Italie au cadre des reprises indispensables. Voilà pourquoi Dupuis a réendossé la fourrure du baron de Gondremarck.

Le Grand Casimir a de beaucoup dépassé le nombre de représentations qui lui avait été assigné ; il a terminé sa superbe carrière après une matinée de 4,500 francs, ce qui énorme.

Hier matin, les décors sont rentrés au magasin et les chevaux sont partis pour Bruxelles.

Il y a longtemps qu’on les y attendait et il a fallu absolument s’appuyer sur les traités pour les conserver.
— Mais allez donc retirer Bitter à Léonce.

Le joyeux clown de Casimir est excessivement nerveux et encore un petit plus superstitieux. Il a été sur le point de refuser de jouer une pièce où on l’habillait tout en noir.

Quand il s’agit de monter à cheval en scène, vous sentez qu’il ne fut point très rassuré.

On parvint cependant à lui démontrer la douceur excessive de la bête et son peu de hauteur, ce qui diminuait le danger de la chute. Léonce se laissa convaincre, mais il fit néanmoins la conquête de son petit cheval noir par la douceur, je devrais dire par les douceurs : pas un soir il ne manqua de lui donner deux morceaux de sucre.

Bitter, qui est tant soit peu porté sur sa bouche, le savait et, dès qu’il entendait sa voix, allait l’attendre au pied de l’escalier ; il eût fouillé dans ses poches si son cavalier l’avait oublié, mais il n’avait garde.

Ces bons procédés avaient crée des liens solides entre Léonce et Bitter ; aussi quand on leur proposa une séparation, Léonce le seul qui soit doué de la parole, éleva-t-il d’énergiques réclamations ; aujourd’hui le voilà passé dans l’infanterie de la troupe que commande M. Bertrand ; il en est presque fâché.

On n’a point fait de changement à la Vie parisienne. Dupuis s’est si bien mis dans la peau du personnage principal, que l’on ne se souvient plus que la célèbre opérette ait été jouée ailleurs.

Mme Grivot a repris le rôle où nous avons applaudi Zulma Bouffar. C’est elle qui chante les couplets du colonel où Offenbach introduisit un soir, aux Variétés, ces notes si imprévues de la clarinette.

Angèle est revenue, tout le monde, paraît-il, a été heureux de la retrouver dans son rôle.

Quant à Lassouche, il a, quoi qu’on en ait dit, tenu à faire partie de l’interprétation.

Mlle Faivre, que le Palais-Royal a prêtée, a des toilettes brillantes, mais un peu étranges.

Au théâtre, on est de très bonne humeur ; la pièce est de celles qui n’engendrent pas la mélancolie. Chose assez curieuse, il y a des gens qui viennent exprès pour le troisième acte ; la petite recette s’en ressent.

Dans les coulisses on me raconte, une histoire amusante.

Un artiste – j’ai promis de ne pas le nommer – possède aux environs de Paris une jolie propriété, qu’il aime beaucoup.

Des terrains sans construction l’entourent, ce dont il se félicite, car la vue y gagne.

Quelle ne fut point sa contrariété quand il apprit qu’on venait de vendre, pour y bâtir, une pièce de terre située juste en face de sa maison !

Un commerçant se proposait d’y élever une maison sitôt qu’il pourrait se retirer des affaires en attendant, il avait entouré sa propriété de murs, et le dimanche, accompagné de quelques amis, il venait dans sa voiture de commerce déjeuner sur son herbe.

Le comédien ne pouvait supporter cela : le diable lui inspira une idée féroce.

Un dimanche matin il vint avant l’aube devant le mur de son voisin, armé d’un pinceau et d’un seau de goudron.

Le malheureux arriva à l’heure dite ; c’était sa fête ; la petite voiture était plus bondée que jamais et l’on se préparait à s’amuser pour de bon.

Stupéfaction.

En grandes lettres noires sur la façade principale on lisait :

CIMETIÈRE A VENDRE.

La fête fut d’un froid à boutonner les paletots et... le lendemain, le commerçant avait mis sa propriété en vente.

Parisine II.

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