Mémoire lu à l’Académie de la nouvelle-Lutèce
le 13 avril 2879 [1]
par Eusebius Florestan, Secrétaire perpétuel.
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Je passerai rapidement sur les premières années du séjour de Beethoven à Vienne. Il travailla avec ardeur, écrivit beaucoup d’ouvrages, mais ne parvint que difficilement à vaincre l’indifférence du public. Tous les hommes de génie ont passé par là. « C’est une vieille histoire », dit un ancien grand poëte, Henri Heine, « mais qui est toujours nouvelle, et celui à qui elle arrive en a le cœur brisé » – Il y avait alors à Vienne un goût prédominant pour la musique légère et frivole, qui gagnait peu à peu toutes les classes de la société. Haydn et Mozart eux-mêmes durent un moment céder à cet entrainement, qui, heureusement, n’eut pas de durée. Mais lors du début de Beethoven il n’y avait de vogue et d’enthousiasme que pour la musique italienne, – dont je ne veux pas médire, car elle comptait des maitres d’un goût et d’un charme qu’il serait puéril de nier. Elle était interprétée par les meilleurs chanteurs et chanteuses que le monde vit jamais. A côté de cette musique qui subjuguait la foule, il y en avait plusieurs autres, de genres inférieurs, qui achevaient de rendre le public incapable de goûter les conceptions idéales de l’art. Il y avait la musique de danse, celle des petits opéras pour rire, la musique aussi endiablée que triviale des opérettes à paroles grivoises, drôlatiques, échevelées : de vraies offenbachanales. Une autre partie des amateurs de musique était vouée au culte des grands virtuoses-gymnastes ; c’était, pour me servir du nom du plus célèbre d’entre eux, le culte du paganinisme. Tous ces faux dieux avaient fait rentrer sous leur tente les vrais grands génies et les aspirants à leur succession, les héritiers futurs de leur gloire.
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Stephen Heller.