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Bouffes-Parisiens

Le Figaro – Dimanche 17 décembre 1871

Première représentation de Boule-de-Neige

Boule de neige est tiré d’une légende Scandinave, comme Barkouff était emprunté à un conte russe. Les deux idées se côtoient sans se rapprocher. Ici, le héros du conte est un terre-neuve ; là, le monarque de la légende est un ours blanc. La destinée de cet ours n’est pas moins extraordinaire que celle de certains hommes appelés à gouverner un peuple. Avant de devenir hospodar du pays fantaisiste sur lequel il doit régner, Boule de neige a étudié la politique dans la ménagerie de la dompteuse Olga, qui magnétise bêtes et gens et conserve son prestige et sa vertu en distribuant çà et là, avec à-propos, des sourires et des coups de cravache. Boule de neige alors qu’il n’était qu’un baby de la race oursine, a été volé à la charmeresse. Qu’est-il devenu ? Elle l’ignore. Que va-t-il devenir ? Nous ne tarderons pas à l’apprendre. Le peuple a fait sa vingt-septième révolution et renversé, par conséquent, son vingt-septième hospodar. Le chef de l’émeute triomphante est un nommé Kachamyr, l’amoureux, le fiancé d’Olga, un gaillard qui mène de front les intérêts de sa profession et de son opinion, qui casse, en temps de trouble, les vitres qu’il remet la révolution terminée. Ce pays, qui fait une si forte consommation de souverains est gouverné, sans compter un caporal et ses quatre hommes ; par quatre queues rouges, fonctionnaires inamovibles du maître quel [mots illisibles]. Nuitter et Tréfeu, on le voit, ne se sont point ménagé l’allusion politique dans ce gouvernement asiatique dont la capitale est Charenton. Au moment où le vitrier se proclame hospodar, au nom du peuple qu’il n’a pas consulté, le grand Khan, le suzerain de cette nation en état de révolution permanente, arrive pour y rétablir l’ordre annoncé par ses trompettes et suivi de son armée et de sa ménagerie. Jupiter envoie une grue qui les croque aux grenouilles qui ont renversé leur roi-soliveau : le grand Khan nomme hospodar son ours blanc avec l’arrière pensée qu’il dévorera gouvernés et gouvernants.

Vous vous doutez bien que le nouvel Hospodar est Boule de neige, et qu’Olga, la gentille belluaire, va conduire et dompter, d’un signe de sa cravache, le roi et les sujets. Et tout naturellement, Kachemyr, afin de se ménager des tète-à-tête avec sa fiancée, entre dans la peau de l’ours, grogne des proclamations et griffe des décrets pour le compte du véritable hospodar. Le Khan excuse la supercherie, marie le vitrier à la dompteuse et leur donne pour dot le peuple qu’ils ont si admirablement gouverné.

J’ai indiqué le cadre de cette folie. Ces sortes de pièces ne s’analysent point ; l’imprévu est pour elles la loi du succès, et cet imprévu, changeant à chaque soirée, résulte de la bonne humeur des interprètes que l’auteur s’est donnés. Les acteurs, lorsqu’ils sont portés par le public, improvisent leurs rôles, les réécrivent sans souci du premier texte et c’est dans ces improvisations répétées et toujours modifiées que le succès, traversé par les glaces des premières soirées, s’échauffe, s’éclaire, éclate et se consolide. La pièce de la première représentation a peu à peu disparu pour faire place, dans son cadre considérablement élargi, à une pièce nouvelle, celle que les auteurs ont rêvée et qui se fait de compte-à-demi avec les acteurs et le public.

L’idée de Boule de Neige ne manque pas d’une certaine originalité. Il faut espérer que les bonnes plaisanteries imaginées par MM. Nuitter et Tréfeu se dégageront et porteront aux représentations suivantes. Il est toutefois indispensable d’y aider en coupant à droite et à gauche dans les scènes inutiles et en sacrifiant une foule de mots qui volent au but avec une pointe émoussée depuis trente ou quarante ans.

La musique écrite par M. Offenbach sur ce sujet extravagant, a la légèreté, le mouvement et l’esprit qu’on voudrait applaudir dans le dialogue de ses collaborateurs. Il y a des choses distinguées, des choses agréables et des choses de métier dans cette partition facile, où la main du compositeur va quelquefois plus vite que son imagination. Comme tous les artistes en possession du don rare et perfide de trouver des idées sans les chercher, M. Offenbach accepte sans contrôle ce qui vient sous sa plume ou court sur le clavier. Tout lui est richesse quand il écrit, même les réminiscences involontaires qui se faufilent, dans la rapidité du travail, dans les mélodies de premier jet. Le proverbe : « On n’emprunte qu’aux riches », ne saurait accuser d’indigence le musicien de Boule de neige, attendu que les emprunts de M. Offenbach sont toujours faits à M. Offenbach.

Dans l’ouverture, traitée en pot pourri, le compositeur a heureusement intercalé les premiers couplet d’Olga : Souvenance de l’enfance. L’introduction du premier acte a beaucoup de vivacité. Refaire après Auber une scène de marché c’était risquer à ses dépens une comparaison écrasante. Le musicien a tourné la difficulté et l’a... enlevée.

Il faut citer au deuxième les couplets très fins de la dompteuse. Mademoiselle Marimon les disait en vocaliste dans Barkouff. Madame Peschard y cherche davantage les oppositions de timbre. Après ces couplets vient la chanson avec chœur dont le refrain est : Vive Boule de Neige ! L’entrée du chœur a de l’originalité. M. Offenbach a écrit pour cette fin d’acte un grand finale bouffe à l’italienne. C’est un des bons morceaux de l’opéra. Le solo de l’ours est une chose plaisante qu’on goûtera davantage aux représentations suivantes.

Au troisième acte – peut-être le meilleur des trois – on applaudit le chœur des conspirateurs. C’est un morceau de scène dont le comique a de la franchise et manque de distinction. En revanche le quatuor du départ est d’une rare finesse mélodique et harmonique. Rien de plus suave que ce murmure de quatre voix s’enlaçant et se croisant.

Dans cette analyse d’une partition très chargée de musique, bien des choses m’ont échappé : j’ai touché aux morceaux principaux en glissant rapidement sur le reste. Olga est le grand rôle de cette bouffonnerie musicale ; il est joué et chanté par une élève du Conservatoire qui a fait sa carrière en province, mademoiselle Dumestre, devenue la femme du ténor Peschard. L’actrice est un peu froide ; la cantatrice a de la correction, de l’expérience et beaucoup de métier. Peut-être abuse-telle un peu des effets alternés du piano et du forte. L’opposition va quelquefois du blanc au noir, du cri déchirant au soupir vocal. Là est l’artifice trop visible pour jouer l’émotion et la sensibilité. Somme toute, madame Peschard a de l’art et du talent. Seulement cet art et ce talent sont-ils bien à leur place sur un théâtre et dans un genre où les excentricités vocales ont des modèles et des classiques dans la grâce et la passion de Schneider et dans l’intelligence de Zulma Bouffar ? Je pose la question sans vouloir me hâter d’y faire une réponse qui pourrait décider ce qui est seulement en cause.

Désiré, Berthelier, Georges et Montrouge, sont les compères amusants que vous savez. Laissez-leur le temps d’ailleurs de faire la pièce. Madame Thierret a obtenu – au troisième acte seulement – un succès de fou rire dans un rôle qui ne tient pas à l’action. Le vitrier Kachemyr possède un agréable filet de voix blanche.

Benedict.

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