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Bulletin musical

L’Agent dramatique – Dimanche 1er janvier 1865

La nomenclature musicale pèche en un point important : on appelle opéras-comiques des opéras dans lesquels, bien souvent, le comique manque ; de plus, les types d’opéras bouffes sont des ouvrages remplis du meilleur comique ; de telle sorte qu’il ne reste aucun nom à donner aux vraies opérettes bouffonnes, qui font rire, non par le comique, mais par le burlesque. Il serait temps de revenir à la vraie dénomination, d’appeler opéra-bouffe les œuvres d’Offenbach et consorts ; opéras-comiques “le Barbier” et “Don Pasquale” ; opéra, “l’Etoile du Nord, Haydée,” drame ou tragédie lyrique, nos grands opéras. De cette façon, nous serions moins embarrassés pour classer la nouvelle partition de J. Offenbach, “la Belle Hélène,” digne pendant “d’Orphée aux Enfers.”

Disons d’abord un mot du livret. Nous n’en raconterons pas le sujet ; qui ne le connaît ? qui ne sait par cœur l’histoire d’Hélène et de Pâris, fils de Priam, juge du concours des trois déesses ? Nous voulons seulement répondre à quelques esprits trop inquiets qui voient d’un mauvais œil ces caricatures mythologiques.

Qu’ils se rassurent ! Quand une religion est basée sur de telles vérités, elle ne saurait rien craindre ni du temps, ni de la raillerie. La religion des poètes ne périra pas, car elle est établie sur les faits, et pour qui sait la comprendre, elle est éternelle ! Les noms seuls sont fictifs : le ciel, l’océan, la terre, le soleil, sont des faits, il nous semble, dont aucune raillerie ne saurait ébranler la puissance, ni la vérité. On peut rire de ces dieux-là, les braver, les combattre môme, mais ne pas y croire, jamais. Rions donc sans crainte, rions de cette fable. Cette fable-là enterrera bien de nos vérités !

MM. H. Meilhac et L. Halévy ne nous ont pas fait rire autant qu’il était en leur pouvoir. Leur livret renferme des longueurs. Cependant il y a un certain nombre de scènes vraiment amusantes, et Offenbach en a tiré tout le parti possible.

L’ouverture est à peu près nulle ; la toile se lève sur un joli chœur des femmes de Sparte, apportant des offrandes à Jupiter.

L’air du jugement de Pâris est très réussi ; excellente aussi, la parodie des fanfares allemandes ; le final du premier acte : “Partez pour la Crète,” est d’une bouffonnerie incomparable. Citons encore, parmi les pièces capitales, le duo d’Hélène et Pâris, l’air délicieux d’Hélène, avec son refrain :

O Vénus ! quel plaisir trouves-tu
A faire ainsi cascader ma vertu ?

Le finale du deuxième acte, avec sa reprise burlesque : “File, file, file !” ; l’air d’Oreste, au troisième acte ; le grand trio de Ménélas, Calchas et Agamemnon, produisent le plus bel effet.

La nouvelle partition d’Offenbach aura le même succès que “Orphée aux Enfers.” Elle est du reste rendue avec beaucoup de soin... Sous le rapport du jeu et de l’expression, on ne saurait vouloir de meilleurs interprètes.

Mlle Schneider est inimitable de désinvolture, de laisser-aller, de chic, pour employer un idiotisme parisien, dans le rôle impossible de l’Hélène travestie.

M. Dupuis joue Pâris avec le talent qu’il met dans tous ses rôles ; Mlle Silly nous représente un jeune Oreste, joueur et débauché, toujours accompagné de deux “cocotes” grecques, Parthœnis (Alice) et Lœna (Gabrieile). Elles sont vêtues de cette belle robe grecque inventée par des hommes aimant la vérité et qui, fendue par côté jusqu’à la ceinture, ne cache ni le beau ni le vrai.

Kopp-Ménélas, Couder-Agamennon, Grenier-Calchas donnent une couleur si extravagante au trio du troisième acte, que l’on s’en souviendra longtemps.

Sous le rapport des voix, Offenbach aurait pu trouver mieux, et la musique ressortirait bien davantage, si elle était entendue. Mais il ne faut pas être exigeant lorsque les maîtres les plus illustres ne sont guère mieux interprétés.

Bref, si l’on est allé à cette pièce pour y trouver un comique fin et spirituel, on s’est trompé. Mais si le genre Offenbach est peu distingué, il n’est pas ennuyeux : donc, il est bon. Nous ne manquons pas de compositeurs endormants. Vivent ceux qui nous égayent ! Applaudissons qui nous fait rire et qui nous fait pleurer.. Sifflons et baffouons qui nous laisse froids et nous assomme : public, c’est notre droit ; critique, c’est notre devoir.

OCTAVE DAVRYAT.

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