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Causeries d’un ancien directeur

Le Figaro – Lundi 19 février 1877

Je suis retourné à la Foire Saint-Laurent, du théâtre des Folies-Dramatiques. Je me proposais, pour ces Causeries, de
relever quelques petites erreurs historico-théâtrales. Rectifions, me disais-je ; complétons-nous les uns par les autres, et puisse le public trouver à cela quelque enseignement et quelque distraction.

Dans l’opérette des Folies-Dramatiques, il est question du vieux Rousseau et de la Malaga.

Mais ni l’un ni l’autre ne parurent jamais à la foire Saint-Laurent des moines lazaristes. Leur patrie fut le boulevard du Temple.

Le vieux Rousseau, un bon gros paillasse, à la trogne bourgeonnée, faisait les délices dudit boulevard, dans un local paré du titre pompeux de Théâtre-Pentagonien. Plus tard, ce nom sévère se transforma gracieusement en celui de « Théâtre de Mademoiselle Malaga. »

Mlle Malaga ! quelle attraction ! Mlle Malaga faisait tourner toutes les têtes. Elle était intelligente, preste, jeune et jolie à croquer. Cet appétit qu’elle excitait suggéra, évidemment à quelqu’artiste friand de ses charmes, l’idée de la représenter eu « tourterelle à la crapaudine, sur un plat d’argent ».

Le vieux Rousseau faisait l’office de pitre de la diva du spectacle forain. Quels mirifiques boniments elle lui inspirait !

« Entrez, messieurs, mesdames ! Entrez, militaires et bonnes d’enfants ! Vous pouvez laisser les petits à la porte : il y a un invalide pour veiller dessus. – Vous y verrez Mlle Rose, l’incomparable Mlle Rose, la tête en bas et les pieds en l’air, en équilibre sur un chandelier, et donnant l’idée d’une bougie. On ne l’allumera pas, n’ayez pas d’inquiétude !…
Nos dames sont faites pour incendier les cœurs, et nullement pour être flambées par haut ou par bas. Respect au sexe ! Entrez, mesdames ; suivez, messieurs. Allons, les militaires, soyez, galants ; et
vous, les bonnes, débarrassez-vous auprès de l’invalide.

J’ignore s’il a été consigné quelque part, qu’un jour, chez « la Malaga » un novice se présenta pour s’essayer sur la corde, et que ce novice n’était autre que Frédérick Lemaître !

Oui, le grand Frédérick a préludé à ses bonds prodigieux d’artiste dramatique, par des essais sur l’instrument funambulesque. Il paraît qu’il ne fut qu’un médiocre danseur de corde. C’est bien heureux ! Voyez pourtant ce que l’art eut perdu si Frédérick Lemaitre avait
mordu aux exercices de la Malaga !

Autre chose, tandis que nous en sommes aux petites rectifications.
Bobèche et Galimafré (Antoine et Guérin) dont il est aussi question dans l’opérette des Folies, ne datent point de la Foire Saint-Laurent, mais d’une époque plus rapprochée de nous. On ne les connaît qu’à partir de 1809, année où on les trouve à Versailles, sous la direction
d’un maître saltimbanque nommé Dromale. De là, ils viennent à Paris, au théâtre des Pygmées.

Au civil, c’étaient deux braves que ces pitres, Bobèche et Galimafré, tant couverts de horions sur leurs tréteaux. Ils savaient manier le sabre et se servir du fusil contre les ennemis de notre pays. Ils le firent bien voir, en 1814, lorsque l’on se battait sous les murs de Paris.

Un vieux machiniste du Cirque, qui les avait connus, ne manquait jamais de s’exalter, lorsqu’il était questionné à leur sujet : « Quels hommes, monsieur ! aurait fallu que vous les voyez, comme je
les ai vus, moi, en 1814, derrière une barricade de la rue de Meaux ! Ils crachaient des balles, tout le temps. A eux deux, ils faisaient plus de besogne qu’un bataillon. Je dis bataillon, histoire de me faire
comprendre. Et gais, et amusants, autant que dans leurs baraques !… Seulement, c’était un autre genre d’amusement. »

Voilà comment ces braves pitres se conduisaient devant l’ennemi ! Certainement, ils ne furent pas les seuls, mais ils en furent.

Sous la Restauration, Bobèche, – qui était très bel homme, – se montrait volontiers sur les boulevards, dans son uniforme de grenadier de la garde nationale. Plus tard, il prit, à Rouen, la direction d’un petit théâtre. Tout cela ne valait pas, pour lui, les triomphes d’autrefois. Il alla mourir à Bordeaux.

Galimafré se fit garçon machiniste à l’Opéra-Comique puis, il se retira à
Montmartre.

Notre estimé et affectionné confrère Hippolyte Cogniard qui, – après avoir pleuré la mort de son frère, et celle de son fils, vient d’avoir la douleur de perdre sa femme, – a fait jouer, au Palais-Royal, une pièce en collaboration avec Théodore, intitulée Bobèche et Galimafré.

Hippolyte Hostein.

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