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Chronique musicale

Le Figaro – Lundi 13 décembre 1869

Variétés. – Les Brigands

Les Brigands des Variétés sont des brigands pour rire. Vous n’en avez jamais douté, et, d’ailleurs, la signature des trois collaborateurs en fait foi. Falsa-Cappa est père et chef de bandits comme le Marco-Spada de l’Opéra-Comique. Le père a tout lieu de se réjouir, car sa Fiorella est un beau brin de fille ; mais le bandit n’est pas précisément sur des roses. Les routes sont désertes, les affaires vont mal et les lieutenants de Falsa-Cappa murmurent. Les dividendes du mois dernier ont été de quinze francs que le chef a mis dans sa poche. Le chef imagine un coup de maître pour rétablir ses finances, non moins embarrassées – et pour les mêmes raisons – que celles des royaumes d’Espagne et d’Italie.

Des papiers saisis sur un courrier de cabinet révèlent aux bandits un secret d’Etat. La princesse de Grenade voyage en Italie, où elle vient épouser le prince de Mantoue. La famille du futur doit cinq millions aux parents de la fiancée ; on a transigé ; le prince de Mantoue payera trois millions et recevra la main de la princesse de Grenade, dont quittance. Deux cortèges s’avancent l’un vers l’autre ; ce sont les seigneurs et les dames des deux cours d’Espagne et d’Italie. Le plan hardi de Falsa Capa consiste à mettre sous clef tour à tour Italiens et Espagnols, à faire jouer sa fille le rôle de la princesse de Grenade et, déguisé lui-même en grand d’Espagne, à toucher les trois millions.

Ces mascarades successives remplissent les trois actes des Brigands. Bien entendu, la fourbe est reconnue au dénoûment, et Falsa-Cappa, pris dans une souricière, serait pendu avec ses compagnons, si Fiorella n’obtenait sa grâce du prince de Mantoue, que la fille du bandit a tiré, dans la montagne, des mains de monsieur son père.

La premier acte des Brigands a décidé du succès de la pièce. Un fou rire s’est emparé des spectateurs à l’entrée des carabiniers. Il faut voir, il faut entendre le brigadier Baron dire, avec une voix de basse parlée sur le dessin rhythmique de l’orchestre :

Nous sommes les carabiniers,
La sécurité des foyers ;
Mais, par un malheureux hasard,
Au secours des particuliers,
Nous arrivons toujours trop tard !

Si les auteurs n’ont pas encore pris leur parti, il faut leur conseiller de ne point ménager les suppressions dans les deux derniers actes ; ils sont traînants et un peu vides dans leur turbulence. Dans ces sortes de folies, on doit, presser la scène et et brûler la situation. Si l’impatience du public court au dénoûment plus vite que l’auteur, tout est compromis. Laisser respirer le spectateur, c’est lui donner le temps de se dire avec Beaumarchais : « Mon Dieu que les gens d’esprit sont bêtes !... Et me voilà justement comme eux ! »

La nouvelle partition de M. Jacques Offenbach est un mariage de raison entre l’opérette-bouffe et le style de l’opéra-comique. Le compositeur a voulu élever le genre qui avait fait sa popularité et ses succès. Le morceau d’ensemble du deuxième acte, dans lequel Falsa-Cappa et sa bande viennent, entrant deux par deux, demander l’aumône à l’aubergiste Pippo, atteste une heureuse recherche dans la facture. Le morceau, d’une excellente couleur, d’une habile disposition pour les voix, est écrit scientifiquement ; c’est du contre-point. L’auditoire, qui l’a goûté (j’ai cru qu’il allait le redemander), ne s’est point douté du piège qu’on lui tendait : il a applaudi ni plus ni moins que si ce nouveau travail eût été une faribole musicale. A cet ensemble vocal succède la pièce d’éclat de la partition et de la soirée, le duo de l’éclat de rire, avec reprise du chœur. La mélodie en est charmante, vive, spirituelle, d’un tour franc à se loger dans toutes les mémoires. Le duo a été chanté avec beaucoup de verve et de naturel par mesdemoiselles Zulma Bouffar et Aimée.

Je ne me suis pas conformé à la loi de gradation ; je suis allé tout droit au meilleur de l’ouvrage, musicalement parlant. Après ces deux morceaux, je citerai encore un chœur au troisième acte, également écrit en contre-point. Le sujet est dit par les soprani, le contre-sujet par les ténors, les basses et, dans l’orchestre, par les instruments à cordes. Cette opposition des deux motifs et des timbres de voix produit un effet excellent.

Voilà la part faite la musique, arrivons aux chansons et aux couplets dans le goût de l’opérette : Offenbach les a multipliés ; chansons et couplets sont jetés dans les rhythmes favoris du musicien ; mais il y a abondance de biens, et l’aisance suffirait grandement à l’oreille chatouillée. Quand le musicien bifferait, dans le rôle du comte Gloria-Cassis, les couplets : Nous sommes Espagnols, de vrais Espagnols, où serait le mal ? Quand il en supprimerait quelques autres encore, le mal se changerait peut-être en bien. Il y a beaucoup de personnages dans les Brigands, et du petit au plus grand, chacun a tenu à fredonner sa chanson : de là un encombrement de refrains au moins inutiles. Et puis, il y a dire et dire. Passe pour mademoiselle Zulma Bouffar qui babille fort légèrement et fort spirituellement : Je suis courrier de cabinet ! Passe encore pour Léonce, qui se répète un peu (n’allez pas le lui dire) dans le refrain : V’là mon caractère ! Mais si l’on élaguait çà et là quelques airs, soit dit sans jeu de mot, l’air ciculerait [1] dans une partition un peu touffue

J’arrive à l’exécution des Brigands. Dupuis joue Falsa-Cappa. II y sera amusant ; mais il faut attendre. Kopp n’a pas demandé du temps pour donner une physionomie plaisante à son rôle de brigand ganache. Quand on aura fait des coupures dans son rôle de caissier infidèle, Léonce y fera applaudir les extravagances de son jeu fantaisiste. Gourdon, que l’on goûtait aux Menus-Plaisirs, n’est point parvenu encore à acclimater ses grimaces Variétés.

Mais place au carabinier Baron, avec son bourdon, son casque et ses épaulettes ! C’est le triomphe de la charge qui traversa le théâtre. Que Paris goûte ou non les Brigands de MM. Meilhac, Halévy et Offenbach, Paris voudra voir passer la patrouille des carabiniers commandée par le grand Baron !

Il y a deux premiers rôles de femmes dans les Brigands : un seul eût suffi s’il se fût appelé Hortense Schneider. Mademoiselle Aimée ne manque pas d’intelligence ; elle a de la voix, elle on a même trop, et le charme ne vient pas corriger l’intensité d’une note constamment émise en force. Mademoiselle Aimés n’a bien dit qu’une chose, sa partie dans le duo de l’éclat de rire. Le personnage de Fragoletto, échu à mademoiselle Zulma Bouffar, est un second rôle. Actrice intelligente, voix sympathique, chanteuse exercée, mademoiselle Zulma Bouffar méritait mieux que la condition d’amoureuse et de fiancée de la fille du bandit.

Benedict.

[1sic

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