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Courrier des théâtres

Le Figaro – Jeudi 7 mars 1872

Hier soir, aux Bouffes-Parisiens, la reprise, des Bavards et du Serpent à plumes a été chaleureusement accueillie.

La partition d’Offenbach – une de ses meilleures – n’a rien perdu de sa fraîcheur ; la fameuse chanson à boire a été bissée par le véritable public.

(…)

___

Notre ami Albert Wolff nous adresse la lettre suivante :

Vienne, dimanche.

Mon cher ami,

Mademoiselle Gallmeyer. l’artiste viennoise dont vous avez tant de fois entretenu vos lecteurs, change de théâtre. A partir de ce jour, elle appartient à la scène où l’on joue en ce moment le Fantasio d’Offenbach, et hier elle a fait ses adieux au public du Karltheatre.
C’était, je vous le jure, une soirée curieuse.

Mais avant tout il faut que je vous dise qui est mademoiselle Gallmeyer. C’est une artiste hors ligne, sans rivale au théâtre elle joua
le drame, le vaudeville, et chante l’opérette, le tout dans la perfection on n’a pas plus d’entrain, plus de brio et plus d’audace que cette comédienne de talent, l’enfant gâtée du public viennois.

Hier donc, la Gallmeyer a donné sa représentation d’adieu au Karltheatre ; elle a joué deux vaudevilles et un acte de la yie parisienne. Salle comble ; des rappels non-seulement après chaque acte, après chaque scène : des bouquets à n’en pas finir ; des couronnes en veux-tu, en voilà, cela va sans dire.

Mais voilà que la soirée devient tout à coup émouvante. Au troisième acte de la Vie parisienne, sur l’air de la Tyrolienne, la Gallmeyer raconte son histoire, son arrivée au Karltheatre, ses succès et son départ pour la scène de la Wien ; peu à peu l’émotion la gagne, et la voilà qu’elle fond en larmes et qu’elle ne peut pas continuer. Vous voyez l’effet de là-bas.

L’artiste, épuisée par l’émotion, tombe dans les bras de ses camarades ; le public s’attendrit, les musiciens s’attendrissent, du
paradis descendent en gracieuses cascades les larmes des titis viennois ; l’acte, interrompu par l’émotion, se termine tant bien
que mal le rideau tombe, et, rappelée encore par le public idolâtre, la Gallmeyer paraît, s’avance vers la rampe et improvise un discours d’adieu !

Vous croyez que c’est fini ! Point !

Après l’émotion dans la salle, l’émotion sur le théâtre la loge de l’artiste est transformée pour la circonstance en un jardin d’hiver et, tandis que les amis viennent la féliciter, l’orchestre et les chœurs lui donnent une sérénade dans les couloirs. La représentation, bien entendu, a été au bénéfice de la Gallmeyer mais, avant de quitter son théâtre, elle donne quinze louis aux musiciens, vingt louis aux choristes, dix louis aux habilleuses, cinq louis aux coiffeurs, si bien qu’en partant du théâtre, malgré son bénéfice, elle est moins riche qu’avant la représentation.

Quant à ses camarades, comme la Gallmeyer ne peut pas leur donner de l’argent, elle leur offre ce soir un souper de cent couverts, suivi d’un bal, une fête charmante qui dura jusqu’au matin et où Jacques Offenbach brillait entre les actrices de Vienne comme un camélia dans un bouquet de roses. Tous les cavaliers portaient à la boutonnière le portrait de la Gallemeyer enchâssé dans des violettes. On n’est pas plus galant que ces Viennois.

Faites de ces notes ce que vous voudrez. Peut-être n’est-il pas sans intérêt pour les Parisiens de savoir comment le public de Vienne fête ses artistes. Quand aurons-nous le temps de nous occuper de ces choses à Paris ? Dieu veuille que ce soit bientôt !

Amitiés.

ALBERT VOLFF.

Gustave Lafargue.

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