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Courrier des théâtres

Le Figaro – Mercredi 13 mars 1872

Nous recevons de notre ami Wolff la lettre suivante :

Vienne, samedi.

Mon cher Lafargue,

Enfin, je l’ai vu, de mes yeux vu ! A Vienne, après chaque première représentation, on trouve Offenbach deux ou trois fois sur la scène, et il déploie dans ses apparitions sur les planches cette grâce extrême que vous savez.

Hier soir, au Kartl Theatre – sous la direction du maëstro, disait l’affiche, – a eu lieu la première représentation de Fleurette, opérette en un acte, improvisée pour le bénéfice de mademoiselle Rœder, élève de Roger, s’il vous plaît, et très certainement l’une des plus jolies femmes que l’on puisse rêver.

Offenbach conduisait l’orchestre. Applaudi à son entrée, après chaque morceau de cette partition pétillante de gaieté et d’esprit, plus applaudi encore à la fin de la pièce, le compositeur a dû paraître trois fois sur les planches, où l’appelait le public reconnaissant. Il faut le voir sur la scène, mon cher Lafargue : Offenbach entre du côté cour, salue le public qui l’applaudit, baisse les yeux comme une rosière confondue par les compliments de M. le maire, fait une pirouette que lui envierait M. Mérante de l’Opéra, et disparaît du côté jardin. Il m’a rappelé Giselle traversant le fond du théâtre à la fin du premier acte.

Vous savez que la réclame n’entre pas dans mon système politique. Aussi, tendez-vous le pour dit, la dernière partition d’Offenbach est un bijou de gaieté et d’esprit, un de ces petits actes dont en ces derniers temps, il semblait avoir perdu la recette ; le succès a été complet. Tout autre vous dirait que Fleurette serait une bonne fortune pour Paris, mais je n’ai plus aucune opinion sur les opéras qui se déplacent depuis que j’ai constaté ici l’énorme succès de Fantasio. Si invraisemblable que paroisse la chose, je dis bien : « l’énorme succès, l’un des plus grands qu’Offenbach ait remportés sur une scène viennoise. » Je n’essayerai pas de vous expliquer le phénomène ; je le constate : voilà tout. Salle comble tous les jours depuis vingt jours ; ce qui équivaut à cinquante représentation à Paris.

Et j’ajoute que Fantasio, qui à Paris m’a causé un médiocre plaisir, m’a paru charmant à Vienne, tant il est vrai que nous subissons au théâtre l’entraînement du public.

Su ce, mon cher Lafargue, je vous serre la main ; dans quelques jours je reviens à Paris, qui, croyez-le bien, malgré ses folies et ses malheurs, est toujours la première ville du monde,

Amitiés,

Albert Wolff.

Gustave Lafargue.

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