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Courrier des théâtres

Le Figaro – Dimanche 28 janvier 1872

Nous faisons une dernière citation du Roi Carotte. Il ne faut pas abuser des meilleures choses.

Gette fois, nous sommes à Pompéï – Pompéï ressuscitée. M. Masset-Fridolin pour prouver aux Pompéiens que notre civilisation est beaucoup plus avancée que la leur, annonce à ces revenants que nous avons inventé… les chemins de fer.

– Les chemins de fer ?… qu’est-ce que cela ?…

Cette question imprévue permet alors à M. Masset de chanter, sur une musique imitative de M. Offenbach, les doux couplets suivants :

I

La locomotive,
Coursier infernal,
Encore captive,
S’ébranle au signal…
On part, et la foule
Des wagons, rampant,
Fuit et se déroule
Comme un long serpent…
Secondes, premières.
Variant de prix.
Suivant les manières
D’être mal assis !…
Wagons pour les dames,
Wagons des fumeurs !!!
Que beaucoup de femmes
Préfèrent aux leurs !…
La machine crache
Du feu sur le sol,
Jette un noir panache
De fumée, au vol..
Et par la soupape
De ses flancs ardents
La vapeur s’échappe
En longs sifflements

Ecume et renifle,
Noir cheval de fer,
Souffle, souffle, siffle !…
Va ton train d’enfer…

En avant !!
Car ce cri
Est celui
De la terre
Tout entière !
Bravement,
Hardiment,
En avant !!…

II

Tout, ainsi qu’une ombre,
Fuit à nos regards,
Villages sans nombre
Et clochers épars !…
Déyorant l’espace,
Sur ses rails brûlants
L’express vole et passe
Fleuves et torrents…
Tantôt sur la cime
Des monts éternels.
Tantôt dans l’abîme
Des sombres tunnels…
Vas, sainte machine,
Poursuis ton chemin.
Ton œuvre est divine !
Ton but est divin !
Détruis les frontières
Et confonds les mœurs,
Abolis les guerres,
Rapproche les cœurs !…
Plus de politique
Aux drapeaux divers.
Fais un peuple unique
De tout l’univers

Ecume et renifle,
Noir cheval de fer, etc…

___

Heureux Offenbach !

Son opéra de Boule de neige va être créé à Vienne par mademoiselle Mila Rœder, dont un journal de la ville célèbre ainsi la beauté :

« Quels yeux ! quelle bouche ! quelles épaules ! et quelle désinvolture ! Tout est charmant en elle, voire même son nez mignon, dont les narines se dilatent imperceptiblement. L’arrivée de mademoiselle Mila Rœder à Vienne a fait sensation, et son apparition dans la salle Musikverein au concert Rubinstein, a été un véritable événement. J’aurais mis au défi n’importe qui de me montrer une lorgnette qui ne fût pas tournée vers la ravissante créature ».

Pourvu que le ramage ressemble au plumage !…

*
* *

Peu s’en est fallu cependant, que mademoiselle Mila Rœder ne créât pas Boule de neige.

M. Ascher, l’habile directeur du Carl-Theater, croyait avoir bel et bien engagé cette jolie femme, lorsqu’il a reçu une lettre, palpitante d’indignation, dans laquelle le père Rœder signifié [1], au directeur que jamais il ne consentira à ce que sa fille, qui a eu les plus grands succès sur tous les théâtres [2], paraisse dans un rôle ignoble comme celui d’une dompteuse d’ours.

– Qu’on en fasse une princesse, a-t-il dit ou quelque chose d’analogue ; à la bonne heure !

Il a fallu toutes les peines du monde pour faire comprendre au père, par trop susceptible, que de pareils remaniements ne peuvent se faire d’un moment à l’autre ; et tout porte à croire que sa fille ne sera pas moins goûtée dans un rôle prétendu ignoble, que dans ceux où elle joue des reines et autres personnages plus ou moins majestueux.

Jules Prével.

[1SIC

[2illisible

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