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Courrier des théâtres

Le Figaro – Jeudi 8 novembre 1866

En voilà des événements ! – Une pièce de M. Vacquerie aux Français ; – une pièce de M. Bouilhet à l’Odéon ; – une pièce de M. Meilhac au Palais-Royal : la première en prose ; – la seconde en vers ; – la troisième en – musique.

La troisième a obtenu un succès très-franc ; la seconde un demi-succès ; – la première un succès fort contesté. C’est bien naturel, M. Offenbach n’avait point collaboré au Fils – et – ni Mme Guyon ni Mlle Favart ne chantent de rondeau. – Or – sans rondeau – aujourd’hui – aucun ouvrage dramatique ne peut réussir. Je prévois le moment où M. Thierry se trouvera obligé d’en intercaler quelques-uns dans le Misanthrope.

La pièce de Molière finira par nous paraître bien fade et bien longue si l’auteur de la Belle Hélène ne daigne l’égayer par quelques refrains.

Aimez-vous l’Offenbach ? – On en mettra partout.


Je dois vous avouer, d’ailleurs, que, dans le premier moment, j’avais été chagrin de voir le Palais-Royal se lancer dans les aventures musicales. –Mais, – ma foi ! – Il s’en est bien tiré – et – nous sommes obligés de reconnaître qu’il est digne de faire une sérieuse concurrence à la salle Ventadour.

A part Zacchini M. Bagier ne possède pas un seul chanteur de la force d’Hyacinthe.

A part Mlle Patti – pas une seule prima-donna qui aille à la cheville de Mme Thierret.


Certainement – je ne veux pas dire qu’Hyacinthe soit supérieur à Mario, – tel que l’a connu M. de Pongerville ou tel autre centenaire – Je ne prétends pas qu’il pourrait chanter la Lucia ni donner une physionomie bien poétique au rôle d’Edgar : la forme de son nez s’y opposerait. – Quand Hyacinthe chante, toutes les notes qui s’échappent de sa bouche, – au lieu de se répandre dans la salle, – lui montent dans le nez et s’y perdent. Il y a là un double courant d’air que tous les architectes du monde seraient impuissants à boucher. – Mais enfin – on m’accordera qu’Hyacinte ferait encore un Rawens-
Wood très-potable et qui paraîtrait très-digne d’inspirer une
grande passion à une héritière mélancolique.


Mais voyez donc quel dommage ! Il n’y a qu’aux comiques que ces malheurs-là arrivent ! Hyacinthe avait cinquante mille francs dans le gosier – pour le moins – et il faut que son nez les absorbe !

Placé sous cet appendice monumental, le célèbre queue-rouge m’a toujours l’air d’un ramoneur qui chanterait dans une cheminée. Le son monte et monte encore… et il faut être placé à l’orifice supérieur pour le recueillir.

Malheureusement – le nez d’Hyacinthe n’a point d’orifice supérieur.

Les uts de poitrine s’y engouffrent, y bourdonnent, puis s’y
éteignent – et – les notes les plus admirables, les accents les plus énergiques ou les plus suaves sont perdus pour le spectateur.

Ce nez s’empare de tout et comme l’avare Achéron il ne làche
point sa proie.

Je crois qu’à la place d’Hyacinthe – je le couperais.


Un de mes amis qui s’était chargé de montrer à un étranger les curiosités de la capitale, l’avait mené voir le nez d’Hyacinthe.

L’étranger demeura confondu.

– Pardon, mon cher, – fit-il après, quelques minutes – est-ce qu’on peut monter dedans ?


C’est un public curieux à étudier que celui des premières représentations. Il ne vient, jamais pour la pièce nouvelle. La plupart des personnes qui le composent la connaissent déjà ou s’en, soucient peu. Elles n’ont d’autre désir que de se faire voir. – Aussi, les trois quarts du temps, – le spectacle est-il dans la salle.


L’illusion est si grande que N… disait l’autre jour : – Quand la représentation est terminée, j’ai toujours envie de rappeler les critiques du lundi

– Tous ! tous !!!


Avez-vous lu les petits articles qui ont paru dans tous les journaux à la suite des premières de la Conjuration d’Amboise, du Fils et de la Vie parisienne ?

Il y était un peu question de ces pièces, je le reconnais ; – mais ce dont on s’occupait, surtout, c’était des illustres, célèbres, ou peu célèbres spectateurs.


M. un tel était ici, disait-on ; Mme *** était là ; Mlle X… occupait, une place à la galerie, etc. etc. De l’œuvre représentée on ne s’inquiétait guère. – C’est à peine ; si l’on daignait nommer l’auteur.


Certes, si une telle mode continue et si’ ces nouvelles habitudes d’analyser envahissent la grande presse, un moment viendra où il ne sera plus du tout question de la pièce.

Les feuilletonistes de l’avenir écriront des articles dans ce genre :

CHRONIQUE THÉATRALE

PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE ***, DRAME EN 5 ACTES,
DE MM. *** ET ***.

« L’œuvre de MM. *** et *** est un véritable événement littéraire. Trente-deux académiciens et toutes les célébrités du demi-monde assistaient à la première représentation. C’est dire assez que nous avons été tour à tour émus et charmés.


MM. de Pongerville et A. Jubinal étaient déjà en scène lorsque le rideau s’est levé ; le premier occupait un fauteuil d’orchestre, le second une stalle de la première galerie. Mademoiselle Cora Pearl, en gagnant sa place, fut obligée de déranger l’honorable membre du corps Législatif.

M. A. Jubinal lui a livré passage d’une façon toute gracieuse.

Cette scène a été fort remarquée.

M. Jules Janin a paru alors dans l’avant-scène de droite.

La toile est tombée sur ce tableau.


Au second acte, on remarquait à l’orchestre, outre MM. de Goncourt, Augier, Sarcey, A. Dumas fils, Sardou, Barrière, Rochefort, Wolf, Ch. Joliet, Bataille, MM. Sainte-Beuve, Thiers, Guizot et Cousin.

Par un hasard assez étrange, M. Cousin se trouvait placé à côté de Rigolboche.


Ce rapprochement, qui produisait le plus séduisant contraste, à vivement impressionné le public du Théâtre-Français, qui aime les émotions fortes,

Mlle Rigolboche s’est fait remarquer par sa grâce extrême et son exquise distinction.

On ne pouvait mieux faire valoir un petit rôle.

Quant à M. Cousin, c’est toujours l’acteur élégant, fin, plein de feu et de jeunesse, que Paris applaudit depuis quatre-vingts ans.

Il est décidément encore mieux conservé que Lafferrière.

M. Paul de. Saint-Victor a été éblouissant pendant toute la dernière partie du second acte.

Sa voix est sonore et porte bien : on l’entendait de la cinquième galerie. Il est impossible d’avoir plus d’esprit et de mieux lancer le mot.


Le commencement du troisième acte a paru un peu froid.

M. Timothée Trimm s’est endormi, dès le début, sur l’épaule de M. de Laprade.

Toute cette partie de l’ouvrage n’a été remplie que par les marivaudages de Rigolboche et de M. Cousin, – marivaudages qui à ce moment du drame, – ont paru déplacés.

L’auteur devra faire quelques coupures.


Fort heureusement, Mlle Anna Deslion, a subitement quitté sa baignoire.

Ce départ inattendu a réveillé, à temps, l’attention du public. Depuis ce moment, il faut le dire, le drame a marché à grands pas vers son dénoûment.

M. Guizot, le premier, a demandé son mac-farlane.

M. Timothée Trimm s’est ensuite emparé de son parapluie, qu’il avait eu l’imprudence de laisser au vestiaire.

Les bravos ont éclaté de toutes parts.


– En somme, le nouveau drame de MM. *** et *** fait le plus grand honneur à la littérature dramatique de notre temps, et si les notabilités parisiennes continuent à venir l’applaudir – nous lui pouvons prédire trois ou quatre cents représentations. »

Jules Guinot.

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