Sardou vient de donner une grande preuve de son désintéressement en adressant à Offenbach la lettre que voici :
26 décembre 1874.
Mon cher ami,
Ce que j’apprends sur la Haine est bien triste.
Si l’on nous avait prédit qu’une pièce écrite avec tant de soin, tant d’amour et de conviction,… accueillie par ses interprètes avec un tel enthousiasme !… montée par toi avec tant d’art et de goût !… applaudie le premier soir avec les honneurs peu communs d’un rappel d’artistes à tous les actes !… et forte le lendemain d’approbation presque unanime de toute la Presse !… que cette pièce à la vingt-cinquième représentation, ne ferait pas de recettes capables de couvrir ses dépenses !… nous ne l’aurions cru ni toi, ni moi !…
Et c’est pourtant ce qui arrive.
J’ai trop la fierté de mon œuvre pour admettre qu’elle se traîne dans des recettes indignes d’elle.
Et je t’aime trop pour t’associer plus longtemps à son injuste destinée.
Je te demande en grâce de cesser les représentations de la Haine et de rassurer les spectateurs qui ne trouvent pas cette tragédie en prose assez amusante, en leur promettant, de ma part, que je n’en ferai pas une autre.
Ton affectionné,
VICTORIEN SARDOU.
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Offenbach, en nous communiquant la lettre qui précède, adresse à notre rédacteur en chef les lignes suivantes :
Mon cher de Villemessant,
Je n’ai rien à ajouter à cette lettre qui est celle d’un ami, songeant avant tout, avant ses propres intérêts, à ceux d’un directeur chargé d’une entreprise lourde et absorbante.
C’est avec le plus grand regret que je verrai disparaître de l’affiche le drame de la Haine, que j’ai monté avec tant de cœur et avec tous mes soins et toute mon imagination d’artiste.
Malheureusement, la Gaîté n’est pas à moi seul et c’est pour être bon administrateur des intérêts qui me sont confiés, que je reviens à la féerie pour n’en plus sortir.
Le public aime l’art, c’est évident, mais il préfère l’art gai. On lui en donnera.
Jeudi, je reprends Orphée.
Tout à vous,
JACQUES OFFENBACH.
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C’est Berthelier qui, décidément, créera aux Variétés, dans les Trente millions de Gladiator, le rôle de l’Américain qui était destiné à Grenier.
Mais, avant la pièce de M. Labiche, on reprendra les Brigands.
Ce sont donc les Brigands qui succèderont directement aux Prés Saint-Gervais.
Jules Prével.