Le public littéraire s’est vivement ému de la maladie qui pouvait conduire rapidement à la tombe une jeune artiste qui vient de débuter avec succès aux Bouffes-Parisiens.
Les planches n’ont assurément rien de commun, ainsi qu’on pourrait le croire, avec ce que les matelots appellent le plancher des vaches, car une de ces estimables ruminantes ayant été engagée spécialement pour créer dans les Bergers le rôle du bœuf s’est vue la proie, dès les premiers jours de son arrivée au passage Choiseul, d’une mélancolie soudaine.
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Elle regrettait sa Normandie !
C’est un droit qu’ont acquis tous les Normands depuis Frédéric Bérat.
Et Désiré avait beau s’efforcer d’égayer la débutante par quelques-unes de ces cascades dont il a le secret, un acharné beuglement du noble animal semblait lui répondre :
–Va donc t’évanouir !
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Et la mélancolie grandissait toujours !
L’explosion même du théâtre n’avait pu arracher à cette artiste un sourire d’émotion – lorsque Tacova eut l’idée de fredonner le Ranz des vaches aux oreilles de sa camarade attristée.
Dès lors tout fut sauvé, et l’irrésistible musique d’Offenbach a achevé la guérison.
Saisie alors du noble désir – aujourd’hui fort répandu – de venir faire de l’œil aux fauteuils d’orchestre, la vache aux cornes dorées ne demande à présent qu’à dessiner un ruminant seul dans le quadrille final.
On ne peut décidément pas lui refuser ça.
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Pourvu, grand Dieu qu’emportée par le diable au corps et le démon des coulisses, ou consumée par le feu la rampe, la vache des Bergers n’aille pas rejoindre dans le ciel des animaux dramatiques la biche de la Biche au bois.
C’est que j’en ai tant vu mourir de jeunes filles !
Au dernier moment, les nouvellistes bien informés prétendent que c’est la gaieté de M. Berthelier qui avait fait naître peu à peu la nostalgie de cet intéressant quadrupède.
Il était décidément temps qu’Offenbach parût !
Jules Claretie.