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Gazette de Paris

Le Figaro – Mercredi 30 janvier 1867

Deux figures justement aimées du public, mademoiselle Cora Pearl et M. de Voltaire, ont défrayé ces derniers jours la causerie parisienne. Cora, encouragée, soutenue, applaudie par la fine fleur de l’aristocratie française, a quitté le macadam où son rare talent dépérissait à vue d’œil, pour monter sur les planches d’un théâtre hospitalier, tandis que M. de Voltaire, tiré d’un injuste oubli par M. Havin du Siècle, se présentait, appuyé sur le vigoureux bras de son illustre protecteur, aux cinquante mille démocrates dont les noms figurent sur la liste des abonnés.

Les deux directeurs de la rue du Croissant et du passage Choiseul – l’un politique, l’autre non politique – mus par le même sentiment de générosité dont la postérité leur tiendra compte, ont dans la même semaine et seulement à vingt-quatre heures d’intervalle, exhibé leurs protégés. C’était une double fête de famille pour l’aristocratie du passage Choiseul et pour la démocratie du Siècle, et il convient de parler de tout cela avec un certain attendissement [1].

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L’apparition soudaine et inattendue de Cora sur le turf des Bouffes-Parisiens, a semblé étonner un instant les âmes naïves qui se figurent encore que la vocation n’est pas étrangère à l’apparition sur un théâtre d’une personne qui s’est déjà fait un nom ailleurs. Quant à nous, habitué à voir de près cette amusante comédie parisienne que nous analysons ici au jour le jour, nous ne pouvons pas être surpris de voir une célébrité du bois, qui saute si bien les haies et les fossés, enjamber la rampe d’un pied leste, et de l’entendre roucouler d’une voix internationale les gaies mélodies de Jacques Offenbach, qu’elle avait jusqu’alors fredonnées dans l’intimité des cabinets particuliers.

La transformation de Cora n’a pu nous étonner, car somme toute il n’y a pas plus loin du Café anglais au théâtre des Bouffes que du passage Choiseul au Café anglais. Entre le restaurant et le théâtre il n’existe plus de notre temps la moindre ligne de démarcation le théâtre envoie chaque soir des députations dans les cabinets particuliers, et quand un directeur aux abois a besoin d’une actrice, il sait la trouver au restaurant. Cette touchante association de la cuisine et de l’art dramatique nous a valu les débuts de mademoiselle Pearl qui est à présent une actrice comme bien d’au- tres et a conquis le droit de vendre aux gandins des billets pour le prochain bal de l’Opéra-Comique au bénéfice de l’association des artistes dramatiques, si bien présidée par le baron Taylor.

Tout s’est passé pour le mieux à ce qu’il parait au passage Choiseul. Tel est l’avis de plusieurs journaux au nombre desquels il faut citer le grave Constitutionnel, également bien renseigné sur les cabinets européens et les cabinets particuliers

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Tandis que Cora Pearl chantait d’une voix timide ce qui était assurément la grande surprise de la soirée – j’étais au coin de ma cheminée où j’étudiais l’étincelant article que M. Havin a consacré dans son journal à la mémoire de Voltaire qu’il appelle, par une de ces bonnes fortunes de plume qui lui sont propres, le patriarche de Ferney, et pour qui il demande un monument sur une place publique à raison de cinquante centimes par tête de souscripteur.

(...)

Albert Wolff.

[1sic

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