Par date

La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Lundi 1er décembre 1873

La Jolie Parfumeuse

Une première de la Renaissance qui est un événement parisien !

Qui l’eût cru ? Qui l’eût dit ?

Le théâtre de Thérèse Raquin et de l’Oubliée, de MM. Zola et Touroude, où les critiques ne se rendaient plus qu’à force de résignation, pour l’accomplissement d’un devoir pénible, ce théâtre enguignonné est parvenu, grâce au nom magique du maestro Offenbach, à attirer ce soir le dessus du panier de toutes les élégances.

Voilà deux jours qu’on ne s’était vu ; depuis la première de Dumas. On se serre les mains comme s’il y avait des années. Il n’y a que ce public spécial pour se retrouver toujours avec un nouveau plaisir.

*
* *

Attrapés, les jolis petits gommeux !

Ils s’étaient dit :

– Evidemment, la Jolie parfumeuse est une pièce bien parisienne, bien boulevardière, se passant aux environs du passage de l’Opéra, un petit tableau à la Meilhac, avec des couplets croustillants, des petites femmes comme en rêve Grévin, des marchandes de gants et de cravates, quelque chose de très dix-neuvième siècle, enfin.

Pas du tout. La Jolie Parfumeuse est un véritable opéra-comique, qui se passe du temps de Louis XV.

On y parle des Porcherons et du café des Aveugles.

Attrapés, les jolis petits gommeux !

*
* *

La diva, l’étoile, l’actrice à sensation et à recettes, the great attraction, celle dont la seule apparition provoque un murmure recommandée au chef de la claque, celle dont on souligne les entrées, les sorties, les moindres effets, celle qu’on applaudit avec fureur, quand elle chante, quand elle parle, quand elle rit, quand elle pleure, quand elle tousse, la préférée, l’adulée la choyée, c’est

THÉO !
THÉO !!
THÉO !!!

Quel dommage que la charmante actrice ne soit pas complètement remise de la bronchite qui l’a retenue pendant plusieurs semaines éloignée du théâtre !

Mademoiselle Théo est encore fortement enrouée, et je me demande si c’est bien prudent à elle de chanter dans ces conditions-là ?

Du reste, M. Maubray est venu, au commencement de la soirée, réclamer l’indulgence du public pour sa jolie camarade. Le public lui a prouvé qu’il avait de l’indulgence de reste en bissant presque tous ses morceaux.

*
* *

Le rôle du marié Bavolet sert de début à madame L. Grivot dans le travesti d’opérette. C’est la première fois que la jeune actrice trouve une création qui la mette en évidence.

Il y a quelques années, prise subitement de l’amour des planches, elle débutait dans un théâtre de banlieue. Puis le Vaudeville l’engagea et remonta pour elle la Chercheuse d’esprit. Tout le monde prédisait le plus grand avenir à la petit Laurence, comme on l’appelait. Mais tout à coup, on cessa de parler d’elle. La voilà qui reparait maintenant quittant la comédie pour le genre à la mode où elle réussira certainement.

Elle est fort gentille dans son costume Louis XV qu’elle porte avec crânerie. Mais pourquoi donc, en voyant sa petite figure ronde comme une pomme sous sa perruque bouclée, ai-je pensé malgré moi au général Tom-Pouce ?

*
* *

Daubray est le seul successeur de Désiré, dont il supporte sans faiblir le lourd héritage. C’est ce qu’on appelle au théâtre : « une nature. » Rien qu’à voir entrer en scène ce gros homme joufflu et rebondi, aux mouvements alertes malgré l’embonpoint de rigueur, on se sent disposé au rire. Il y a dans ces petits yeux qui pétillent, dans cette large face rubiconde, une gaîté communicative à laquelle ne résisterai pas l’être le plus morose.

Sur un piédestal, Daubray réaliserait, dans son type le plus pur, la statue de la Bonne Humeur.

Il y a une dizaine d’année bientôt que je l’ai vu pour la première fois à Déjazet, mais ce n’est que tout dernièrement, dans Pomme d’Api que ce public spécial qui fait les réputations a bien voulu le découvrir. Notez qu’il y a dix ans, Daubray avait tout autant de talent qu’aujourd’hui, et qu’il était tout aussi facile de s’en apercevoir.

*
* *

Le second acte débute par un grand air que chante, d’une belle voix de baryton, l’un des valets de M. de la Cocardière.

J’avoue que ce grand air a intrigué beaucoup de gens.

Que venait-il faire là ?

On a cru un instant que le valet de chambre avait un rôle important dans la pièce et qu’on allait voir se dessiner une intrigue dans le genre de cette de Ruy-Blas.

On a fait mille suppositions.

– Ce n’est pas un valet de chambre, disait-on autour de moi ; c’est un valet de chant.

Je crois avoir trouvé la clef de l’énigme.

Le poëme de la Jolie Parfumeuse est de MM. Crémieux et Ernest Blum.

M. Crémieux se serait volontiers contenté d’avoir de l’esprit, mais M. Ernest Blum a voulu que son opérette eût une portée sociale.

M. Blum est encore plus radical que vaudevilliste.

– Jusqu’à présent, a-t-il dit à son collaborateur, les grands seigneurs seuls chantaient de grands airs dans les opérettes ; les temps sont venus d’en faire chanter aux domestiques.

Et comme cela tout s’explique.

Le grand air de M. Troy qui sert d’introduction au premier acte, est tout simplement une concession à la démocratie.

Un monsieur de l’orchestre.

Par date
Par œuvre
Rechercher
Partager