Qui contient la liste exacte et complète des exigences de Mlle Schneider.
Quels n’ont pas été le désespoir et la déception de tous les Parisiens, en apprenant par les journaux d’hier que Mlle Schneider refusait de jouer le rôle de la Boulangère aux écus dans la nouvelle opérette de MM. Offenbach, Meilhac et Halévy !
Mlle Schneider rendant un rôle ! C’est là un événement auprès duquel l’Herzégovine n’est que de la petite bière ! Pourquoi l’a-t-elle rendu ? A-t-elle eu tort de le rendre ? Comment cela s’est-il passé ? L’émotion est générale, le public est avide de renseignements, il tient à connaître le fin mot de l’histoire nous n’aurons aucun scrupule à le lui dévoiler.
Mlle Schneider s’est d’abord montrée assez conciliante. Elle s’est adressée à M. Bertrand en le priant d’obtenir des auteurs quelques légères modifications à leur pièce.
– Ma chère enfant, lui a répondu l’intelligent directeur des Variétés, nous sommes, mes confrères et moi, toujours prêts à être agréables à nos artistes et à nos auteurs. Voyez ce qui s’est passé au Vaudeville. Albert Delpit y avait obtenu un immense succès avec Jean-nu-pieds, vous savez cela ; eh bien, il a écrit à mon ami Deslandes qu’il lui serait plus agréable de voir disparaître sa pièce de l’affiche et Deslandes n’a pas hésité, bien que son patriotisme en ait dû souffrir énormément, à reprendre le Procès Veauradieux !
– Ce n’est pas de tout cela qu’il s’agit ! Je demande que Dupuis n’ait pas plus de trois mots comiques par acte. Il ne lui sera pas permis de prendre des temps et, quand je chanterai, il ira à la cantonade jusqu’à la fin du couplet !
– Bien pour Dupuis, que demandez-vous pour Léonce ?
– Moins que rien. Léonce jouera avec les mains attachées derrière le dos, afin de l’empêcher de faire ce geste qui consiste à claquer des doigts et à se frotter les joues. Il y a là un effet que Léonce ne rate jamais et qui peut me faire du tort !
– Diable ! est-ce tout ?
– Je veux bien qu’on donne un grand rôle à Paola Marié.
– Ah ! bravo voilà qui est gentil…
– Un grand rôle, oui… un rôle de dialogue. Pas de chant du tout.
– Mais Paola n’a que de la voix !
– Cela ne me regarde pas !
L’intelligent directeur des Variétés parut réfléchir. Fallait-il répondre par un refus aux exigences de Mlle Schneider, risquer de la froisser, de se brouiller avec elle ? Il recula devant tant de responsabilité. Il fit un geste qui ressembla à un consentement. C’est ce qui le perdit.
Mlle Schneider continua :
– J’ai aussi quelque chose à demander à Offenbach.
– Ah !…
– Je veux qu’il coupe ses favoris !
L’intelligent directeur bondit :
– Réfléchissez. ma chère amie, s’écria-t-il, réfléchissez à ce que vous exigez là.
– C’est tout réfléchi !… Quant à Meilhac et Halévy… ils me doivent tout… je ne me gênerai pas avec eux. J’inaugure prochainement mon hôtel ; vous prierez Meilhac de m’envoyer son billard !
– Pauvre Meilhac ! Il y tient tant !
– C’est comme ça. Quant à Halévy, je me contenterai d’une donation entre-vifs de son château de Saint-Germain.
– Avec les dépendances ?
– Non, sans les dépendances, je lui laisse les dépendances !
– Vous n’avez pas autre chose ?
– Non, pas autre chose… pour le moment.
M. Bertrand, l’intelligent directeur des Variétés, s’est rendu alors chez les trois collaborateurs qui, après avoir, écouté avec une profonde douleur l’ultimatum de leur boulangère, lui ont fait une réponse qu’on peut résumer ainsi :
Meilhac veut bien donner le château d’Halévy et les favoris d’Offenbach, mais il veut garder son billard. Halévy renoncerait au besoin aux favoris du maëstro et au billard de son collaborateur, mais il ne veut pas se défaire de son château. Quant à Offenbach, il ne tient nullement au billard de Meilhac ni au château d’Halévy, mais il tient à ses favoris.
M. Bertrand n’ayant pu obtenir de solution, s’est éloigné en murmurant :
– Et dire que si les artistes d’aujourd’hui se montrent si exigeants, c’est à la Russie que nous devons cela !
La mesquinerie des auteurs de la Boulangère, a décidé Mlle Schneider à s’adresser à la justice.
Les Deux Ajax