Correspondance
II
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Un régiment passe, colonel en tête ; les sapeurs viennent ensuite, puis les tambours et les clairons ; à entendre ceux-ci, on se croirait en France ; sonneries et batteries, tout est Français. Voici la grande musique, revêtue de tuniques rouges à brandebourgs, et munie de l’attirail complet des instruments de Sax. Que jouent-ils ? des pas redoublés, des polkas, des fragments d’opéras italiens, et surtout de l’Offenbach. Ah ! ne leur demandez pas des nuances ; ces braves Africains savent presque toujours leur partie par cœur, et ils la soufflent imperturbablement d’un bout à l’autre, à pied ou à cheval ; c’est juste — à peu près — mais on arrive ensemble à la fin, c’est l’important.
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Si la musique de nos pays n’est pas appréciée des indigènes, en revanche elle trouve de nombreux amateurs parmi la colonie Européenne qui peuple les quartiers francs du Caire et d’Alexandrie. Comme à Constantinople, ce ne sont qu’Alcazars, Eldorados et Cafés-Concerts ; c’est là, qu’en absorbant la bière de Vienne ou de Londres, servie par de petites Italiennes fort jolies et point farouches, les giaours vont écouler des concerts bigarrés et cosmopolites comme eux ; la chansonnette française, la cavatine italienne, le lied allemand, se succèdent de huit heures du soir à trois heures du matin, entremêlés de valses de Strauss, de polkas d’Offenbach ou d’Hervé, et parfois de vaudevilles du Palais-Royal. Quiconque a séjourné au Caire se rappelle ce café de la place de l’Esbékié, où de jeunes Allemandes, alternativement chanteuses ou violonistes, exécutent leur partie vocale ou instrumentale avec la précision et le flegme d’un caporal Prussien ; ou bien cet autre, contigu à l’hôtel d’Orient, dont l’orchestre féminin s’installe, pendant les premières heures de la nuit, sous les grands palmiers qui se dressent devant la façade.
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Stop.