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Chronique musicale – Le Château à Toto

Le Figaro – Vendredi 8 mai 1868

L’opéra bouffe joué hier au Palais-Royal a eu la destinée de son héros ; il n’a pas été plus ménager du succès qu’Hector de la Roche-Trompette de son patrimoine. Toto est ruiné à vingt ans ; la pièce de MM. Meilhac, Halévy et Offenbach a mangé, dans son premier acte, le plus clair de sa verve et de son esprit, et ce n’était guère. Les bouffonneries, à larges envergures sur l’extravagance, ne réussissent ou ne tombent jamais à demi ; comme elles marchent dans l’absurde à grandes enjambées, il en résulte, si le pied porte à faux, une chute presque toujours mortelle.

Faire rire avec excès au théâtre n’est pas un art, mais un bonheur ; le ressort, qui détend quinze cents visages maussades dans une salle de spectacle, n’est pas dans la main de l’auteur : celle-ci doit le chercher et le trouver. Avec de l’esprit, du talent et de l’expérience, il ne fera rien encore, si le hasard et son étoile ne le favorisent et ne viennent à son secours.

Les auteurs du Château à Toto ont donc été livrés à eux-mêmes. Ils n’ont pas marchandé leur expérience ; mais, en face des prodigalités du jeune la Roche-trompette, – le roi des gobichonneurs, comme ils le disent avec un parfait atticisme, – peut-être ont-ils jugé prudent de mettre sous clef le superflu de leur esprit, y compris le nécessaire.

Après avoir inventé, au premier le récit extrêmement plaisant de Crécy-Crécy, retournant une situation sérieuse en parodie et se faisant d’un vieil habit un habit neuf, ils ont pris leur second acte tout entier dans celui de la Dame blanche. Ils ont pu dire : « Et de deux ! » Le difficile était de pousser cette froide plaisanterie jusqu’au troisième acte : ils ont imaginé alors un carnaval au grand complet ; le notaire de Massepain s’est coulé dans l’uniforme du garde-champêtre ; le baron de Crécy-Crécy est fagotté en facteur rural ; le paysan Pitou a changé d’habit et de condition avec le petit crevé de la Pépinière. On a chanté, ballé et marié, bien entendu, les la Roche-trompette aux Crécy-Crécy.

Jacques Offenbach n’a pas été plus heureux que ses deux collaborateurs ; peut-être même, en bonne justice, l’a-t-il été un peu moins. Il n’a point rajeuni ses rhythmes [1] favoris et réconcilié les Montaigus de la parodie au Caulets de la gaudriole, et il n’a pas trouvé ces chants facilement venus, qui lui coûtent si peu et mettent en mouvement, d’instinct et dès le premier accord, la tête et les pieds de ses heureux auditeurs. Les amis, les admirateurs quand même du maître à la mode n’ont pas emporté de cette représentation même un lambeau de ritournelle.

Il y a pourtant, au premier acte, dans une chanson peu originale à la vérité, un joli refrain à deux voix dit par Zulma Bouffar et Alphonsine ; mais quelques tierces filées agréablement ne sauraient composer un gros butin musical. Je louerais encore le rhythme vif et franc des couplets : Ah ! qu’il est beau ! le château à Toto, si on ne les avait déjà loués beaucoup dans une ronde de Robinson : Debout ! c’est aujourd’hui dimanche.

MM. Meilhac, Halévy et Offenbach se sont trompés cette fois, et, en gens d’esprit, habitués à payer comptant, ils n’ont point fait les choses à demi. C’est un accident dans leur association, que le passé doit adoucir et que l’avenir leur fera oublier.

Gil-Perès a fait la fortune du premier acte de la pièce, et, dans les couplets avec dialogue du « facteur rural, » il a certainement paré à un désastre au dénoûment. Le succès, qui a manqué aux poètes et au musicien, le baron de Crécy-Crécy l’a gardé pour lui seul.

Le personnage est un farceur ; Gil Pérès en a fait un comédien plein de naturel, de gaieté et d’esprit. Zulma Bouffar a de l’intelligence et une jolie voix ; mais elle gagnerait à renoncer aux travestis, qui rendent gauches sa personne et son talent. Hyacinthe a un mauvais rôle. Lassouche est superbe dans son costume de petit crevé ; il est fâcheux que le personnage tienne tout entier dans une gravure de mode. Alphonsine a joué les jeunes Thierret ; ce n’est pas mal, mais il faut attendre. Mademoiselle Paurelle vaut certainement mademoiselle Worms, qui n’est pas meilleure, hélas ! que mademoiselle Paurelle ! Brasseur ne renoncera-t-il pas à jouer cet éternel paysan faux et grimacier, dont il nous fatigue et ne se fatigue point depuis le Sabot de Marguerite. Assez de sabots comme cela, de grâcé ! Ce comédien, qui se plaît si fort et tout seul à changer de figure, devrait bien changer celle-là, et une fois pour toute !

Benedict.

[1SIC

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