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La Soirée parisienne – Le Docteur Ox aux Variétés

Le Gaulois – Dimanche 28 janvier 1877

Il vous souvient, n’est-ce pas ! d’Hamlet poursuivi par la solution de cette grave question : To be or not to be ! Etre où n’être pas !

Depuis la mise en répétition du Docteur Ox, M. Bertrand jouait, à la ville, le rôle du héros de Shakespeare ; on le rencontrait dans la rue, sur les boulevards, soucieux, préoccupé, se posant, tout bas, la question suivante :

« Se combinera-t-il ou ne se combinera-t-il pas ? »

C’est que toute l’intrigue de l’opérette nouvelle qu’il offrait ce soir au public reposait sur cette grave question chimique de la combinaison des gaz oxygène et hydrogène, produisant un gaz oxy-ydrique, qui avait, pour résultante, d’exhilarer les artistes et les spectateurs.

Les deux gaz se sont admirablement combinés, et de cette combinaison ont jailli une lumière étonnante et un succès aussi éblouissant.

Le Docteur Ox se passe en Hollande, et les décors et les costumes sont copiés sur le vif. Les costumes surtout sont d’une exactitude étonnante. Quant aux huit tableaux, ils ont été photographiés, paraît-il, sur les lieux.

Cela n’a pas empêché les gens qui, comme moi, n’ont-jamais visité la Hollande, de se croire à Bruges, la ville la plus typique, la plus curieuse du royaume de Léopold II. Tout prêtait à l’illusion, car, au troisième tableau, Judic et Dupuis parlent le marollais le plus pur.

Il est vrai que dans le Docteur Ox il y a assez de Hollandais pour permettre aux artistes cette licence bizarre de parler le bruxellois.

Il faut vous dire que Dupuis s’est difficilement mis à la portée de son rôle, au point de vue linguistique.

Tout Belge qu’il est, cet artiste est né à Liège, où le flamand est un idiome complètement inconnu.

Au premier mot qu’il eut à dire, le docteur Ox baragouina un idiome tellement étrange qu’on vif bien qu’il aurait autant de mal à apprendre la prononciation hollandaise que le rôle tout entier... Avouons cependant qu’il y mit une conscience sans égale. Qui ne l’a rencontré, depuis deux mois, sur les boulevards, abordant ses amis en leur disant : S’Gravenhage ou Ik bemin U ?

Enfin, il y a trois semaines, comme il adressait cette dernière phrase à une Hollandaise.
— Moi aussi ! répondit-elle.

Dupuis dansa de joie. Elle avait compris. Donc il parlait correctement ! Ce jour-là, il se montra absolument dédaigneux à l’endroit de Mortier, un Hollandais authentique, comme on sait.

Après la conquête du hollandais, Dupuis eut à faire, — en collaboration, il est vrai, avec Léonce, — celle du latin.

Mais de quel latin ! Jugez-en !

Voici le mot que Ox et Ygène ont à dire au second acte :

« Thesaurochrysonichochrysidès. »

Dupuis continua à être un brillant élève dans l’étude des langues étrangères. Quant à Léonce, il n’est jamais parvenu, malgré d’immenses efforts, qu’à prononcer les deux dernières syllabes. Et encore est-il tout essoufflé après ce piètre résultat.

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Quant à la musique, tout alla à merveille ; si bien qu’à l’une des dernières répétitions Offenbach fut sans pitié :

— Ça marche, ça marche très bien ! fit-il. Zé très trôle. Ze vais faire là-tessus un petit tuo !

Et il le fit en effet. C’est le dernier duo dutroisième acte.

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Les costumes feront fureur, ils sont d’une exactitude qui rappelle celle des Merveilleuses.

Mortier s’est procuré à Amsterdam même des gravures reproduisant les pittoresques habillements de toutes les provinces de Hollande.

Quelques-unes de ces gravures, dont la collection était épuisée, n’ont même été cédées qu’à prix d’or.

Le finale du second acte, où plus de cent personnes sont en scène, nous montre tous les types hollandais. Parmi ces types, il en est, comme ceux des douze danseuses, par exemple, qui semblent avoir été empruntés à la Russie. Nous les garantissons on ne peut plus hollandais ; ils sont portés dans l’île de Marken.

C’est Draner qui a été chargé de compléter les modèles tirés des gravures d’Amsterdam ; il a fait de véritables chefs-d’œuvre.

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Parmi ces redingotes et ces culottes hollandaises se détache au premier acte le costume de bohémienne porté par Judic. Il n’en est point de plus joli.

Il n’a coûté à la délicieuse artiste qu’une visite, faite en compagnie de Grévin, à Mme Cassin, propriétaire de la Salomé, de Régnault.

Mme Cassin a naturellement permis à Grévin de copier les splendides couleurs créées par ce peintre inimitable. La moitié de la besogne seulement était faite. Il restait à trouver les étoffes imprégnées de ces couleurs si vives, de ces teintes si délicates. Mais une artiste qui rêve un beau costume trouve tout. Salomé n’est plus seulement sur la toile. A partir d’aujourd’hui, on peut la voir en chair et en os sur la scène des Variétés, avec ses cheveux en broussailles, son pantalon à bouffants, ses pieds nus dans des babouches algériennes.

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Mais parlons encore de Léonce. Le sujet est inépuisable.

On connaît les terreurs de cet artiste que l’on appelle, dans les couloirs des Variétés, Fleur-de-Timidité. Chacun sait que jamais il n’a consenti à mettre le pied sur une trappe ou sur un praticable. Toute ascension, même des plus faciles, lui fait perdre la tête.

Or, voilà qu’aux dernières répétitions du Docteur Ox. on lui met une mèche dans la main et on lui dit que c’est à lui d’allumer le gaz oxy-hydrique. Sa frayeur ne s’exprime pas. Il prend néanmoins la mèche et l’approche de l’usine, mais en tremblant tellement qu’au lieu que le gaz s’allumât ce fût la mèche qui s’éteignit. Et, jusqu’à la répétition générale, ce fut de même. Si bien qu’aujourd’hui, à midi, on a dû changer ce jeu de scène et faire allumer le gaz par un machiniste.

Il est vrai que Léonce avait déjà dû vaincre, dans un autre combat, sa terreur célèbre. Imaginez-vous que lui, qui jamais n’avait consenti à monter à l’échelle, doit non-seulement au dernier acte du Docteur Ox gravir une cinquantaine d’échelons, mais encore arriver à un praticable très élevé, à l’aide d’une planchette des plus étroites.

Aux répétitions, passe encore ! Un machiniste le précédait, un autre le suivait et, au-dessous de la planchette, un troisième machiniste s’apprêtait à le recevoir dans ses bras, comme cela se fait dans les cirques. Mais, ce soir, pas moyen qu’il en fût ainsi. Il fallait le voir se cramponner au décor !

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Quand à Mortier, l’un des auteurs, il a passé toute la soirée derrière l’usine, surveillant lui-même l’allumage du gaz.

Il y a une chose qu’on ne sait pas, c’est que Mortier est un excellent musicien, jouant du violon à ravir et sachant employer, en expert, le
langage courant de la musique. Cela explique l’amitié toute particulière qu’Offenbach a pour lui. Il le traite en confrère !

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Si Mortier, faisant une opérette, parle musique, Offenbach, chargé d’agrémenter de ses motifs populaires ube pièce scientifique, parle
beaucoup chimie.

Comprend-il déjà ? Je n’oserais l’affirmer. Pourtant ses amis assurent que, s’il fait encore une pièce avec Verne, il sera mûr pour l’Institut.

Je ne saurais donc trop recommander à M. Bertrand de veiller sur son compositeur.

Le temps et la place me manquent pour vous décrire tous les costumes ; et tous les décors mais, comme le Docteur Ox aura un grand nombre de représentations, j’y reviendrai un de ces soirs, ce qui me donnera un ox de plus à ronger.

Parisine.

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