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La Soirée Théâtrale – Peschard-Caprice

Le Figaro – Vendredi 17 décembre 1875

En moins de deux mois, le Voyage dans la Lune aura eu deux premières. Car c’était une véritable première ce soir, à Gaîté, bien que l’opéra-féerie d’Offenbach soit déjà arrivé à sa cinquante-deuxième représentation. Madame Peschard succédait à Mlle Zulma Bouffar dans le rôle de Caprice, et de nombreux journalistes ainsi que beaucoup d’habitués de premières avaient profité de l’occasion pour aller revoir les aventures du roi Vlan.

La salle est comble.

Dans la grande avant-scène de gauche se trouve la princesse de Galles avec M. et Mme Standish et des personnages de sa suite. La princesse est venue voir le Voyage dans la Lune sur la recommandation de sa mère, la Reine de Danemark, qui a honoré de sa présence, il y a quatre jours, la représentation de la Gaîté.

On est venu de bonne heure, car on sait que le premier acte contient plusieurs morceaux que Mme Peschard doit chanter d’une façon exquise.

Disons tout de suite que le nouveau prince Caprice s’est incarné avec un grand et légitime succès dans son rôle si difficile et si fatigant. Nous souhaitons à M. Vinzentini, pour son Théâtre-Lyrique de l’an prochain, beaucoup de voix comme celle de Mme Peschard, beaucoup de chanteuse comme elle.

Les costumes des petits rôles, ceux des chœurs et ceux des ballets ont été renouvelés. On n’a jamais fini de faire des frais tant qu’on joue des pièces à spectacle. Les ordres les plus sévères sont placardés sur les glaces du foyer, recommandant aux artistes de veiller à leurs costumes et de ménager la caisse de la direction. Mais c’est comme si l’on votait pour un sénateur du centre droit. Cela ne sert absolument à rien. Le foyer des artistes de la Gaîté n’est pourtant pas extraordinairement bruyant. On y joue volontiers aux jeux innocents, aux synonymes et aux homonymes. De temps en temps, un jeune homme se met au piano et imite Dupuis dans la Boulangère ou Léonce dans la Vie Parisienne. Ou bien le médecin de la maison y vient faire des expériences de spiritisme. Mais malgré la vie quasi patriarcale qu’on y mène, les tuniques de gaze s’y froissent, les nœuds de satin s’y chiffonnent, les étoiles s’y fanent et il faut renouveler les costumes.

A côté du foyer se trouve une petite loge dont la porte est toujours hermétiquement fermée. C’est la loge de la princesse Fantasia, de Mlle Noémie Marcus. La gentille petite chanteuse est toujours accompagnée de sa mère ou de sa sœur. Les visiteurs sont rares. On apporte bien, une ou deux fois par semaine, un bouquet de lilas blancs, mais c’est l’envoi de quelque admirateur mystérieux – amoureux des étoiles.

Bien que les représentations de la Gaîté commencent à sept heures vingt minutes pour finir à minuit précis, les artistes ne paraissent pas fatigués.

Ils sont tout prêts à jouer la pièce deux fois le 2 janvier prochain.

Par exemple, ils courent tous les soirs des dangers sérieux.

Il n’est pas facile de se mouvoir sur la scène et dans les coulisses de la Gaîté. Quand le plancher se dérobe sous les pas, quand les décors se dressent et disparaissent autour de vous, quand les trucs fonctionnent, quand les rochers sautent, quand on allume les boîtes d’artifice, il faut pour marcher, s’arrêter, s’asseoir, se retourner, des précautions infinies. L’autre soir Zalma Bouffar, en descendant de son char, a mis le pied dans une costière. Elle en a été heureusement quitte pour une contusion sans gravité, mais elle a beaucoup souffert pendant le restant de la soirée.

L’accident de Tissier a été plus grave. Dans le tableau du volcan, Tissier est tombé dans un trapillon. Malgré une douleur fort vive, il a continué à jouer le lendemain. Mais deux jours après il avait la jambe enflée et enflammée et il a dû garder le lit. Pendant une douzaine de jours, il a été remplacé dans son rôle de Roi de la lune par M. Legrenay. Vous savez que les rois de la lune sont élus au poids. Cela allait bien pour Tissier qui est énorme, mais Legrenay est d’une maigreur !...

Aussi, vous les soirs, lorsque Legrenay disait :

– On m’a élu au poids !

Et lorsque Laurent ajoutait :

– Je l’ai échappé de trente-cinq grammes !

Le public riait aux éclats.

On s’en tirait assez bien, du reste, en ajoutant cette plaisanterie :

– Il est plus large… c’est vrai… mais je suis plus long !

Christian continue à émailler de mots le texte du Voyage dans la Lune. Tous les soirs la pièce s’allonge un peu plus. Pour peu que Christian continue, il faudra couper un tableau afin de finir à minuit. Parmi les plaisanteries qu’il improvise, il en est d’extrêmement drôles qui enlèvent la salle, il en est aussi de moins réussies. Mais impossible de faire un choix.

Ce soir, l’excellent comique rayonne. Zulman jouait de la trompette dans la scène des charlatans, Peschad ne joue pas de la trompette.

La trompette est revenue à Christian, qui exécute une fanfare magnifique tout en battant du tambour.

Ainsi que je l’ai dit en commençant, Mme Peschard a admirablement chanté tous ses morceaux.

Elle a eu surtout du succès dans son madrigal, dans sa jolie valse qui vient de passer du premier au second acte, dans la romance à la lune et dans le duo des pommes.

On l’attendant à la fameuse scène des charlatans. Elle l’a enlevée avec énormément d’entrain et de gaieté.

A partir de ce soir, on dira :

– La scène de Paschard-latan !

Un Monsieur de l’orchestre.

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