Gaîté. Reprise de les Brigands, opéra-bouffe en trois actes, parole de MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévy, musique de M. Jacques Offenbach.
Mon collaborateur, M. B. Jouvin, indisposé, m’a chargé de le suppléer pour le compte rendu des Brigands, que le théâtre de la Gaîté vient de reprendre dans la soirée de Noël. Voilà la seconde fois, en huit ans, qu’un théâtre dispose de cette grande fête chrétienne pour convier le public à une première représentation. Je le constate en le regrettant, qu’il s’agisse du Borgne et de l’Ambigu, ou des Brigands et de la Gaîté, L’abondance des pièces nouvelles dans le cours de la présente semaine est la circonstance atténuante invoquée par M.Wentschenk. Il en a fallu prendre son parti et avouer, de plus, qu’on a passé une agréable soirée, malgré les scrupules, malgré les retards inconcevables de l’ouverture des portes et malgré le froid polaire dont les spectateurs ont eu à souffrir dans une salle insuffisamment ou tardivement chauffée.
Orphée aux Enfers, transformé en opéra féerie, avec changements à vue, lumière électrique et ballets, avait énormément réussi. On a voulu renouveler l’expérience avec les Brigands, et l’expérience, en dépit des pronostics contraires, ne paraît pas devoir être moins heureuse.
J’ajouterai même que les Brigands, sans offrir autant de spectacle qu’Orphée ni une partie musicale aussi saillante, ont paru plus amusants peut-être que leur aîné.
Le livret d’Orphée aux Enfers ne vivait que par une parodie irrespectueuse des divinités de Olympe ; des spectateurs quelque peu lettrés et suffisamment nourris de mythologie grecque, pouvaient seuls goûter le sel plus ou moins attique de certaines transformations et de certains contrastes.
Les Brigands, au contraire, sont bâtis sur une donnée scénique ; c’est un bon conte de voleurs qui n’est pas plus invraisemblable et qui intéresse tout autant que les opéras-comiques de Scribe, écrits sur des sujets analogues, tels que les Diamants de la Couronne, Fra-Diavolo et la Sirène. Le dialogue seul appartient au genre de l’opérette. Les paroliers ont l’air de ne pas se prendre au sérieux, mais la pièce n’en va pas moins son petit bonhomme de chemin ; personne ne voudrait quitter la place sans savoir si le chef de brigands Falsacappa empochera les trois millions du duc de Mantoue, et si Fiorella, la fille du bandit, deviendra princesse souveraine.
La violence exagérée des couleurs et l’énorme extravagance des types se pardonnent lorsqu’elles servent de passeport à des bouffonneries ingénieuses et même à des idées de bonne comédie. Les carabiniers qui poursuivent les brigands dans la montagne, en s’annonçant par d’éclatantes fanfares et qui arrivent toujours trop tard, sont demeurés legendaires, comme aussi ce burlesque caissier du duc de Mantoue, qui a mangé la grenouille « avec des femmes » et qui attend, calme et serein, les foudres de la Cour des comptes.
La soirée, d’hier n’a donc été qu’un long éclat de rire. Le second acte, surtout, dépasse tout ce qu’on peut imaginer en fantaisie de « haulte gresse ».
La mise en scène est, luxueuse et ne ralentit pas trop l’action ; seul le troisième acte, qui n’est pas souvent le meilleur dans les pièces de MM. Meilhac et Halévy, paraît un peu plus décousu qu’il ne l’était aux Variétés, parce qu’on a remplacé, l’ancien dénouement, dont la rapidité faisait le principal mérite, par un défilé et une cavalcade dont le besoin ne se faisait pas absolument sentir.
La musique des Brigands est vive, légère et d’une franchise d’allure ; qui appartient au meilleur temps d’Offenbach. Le plaisir qu’elle fait ne porte aucune atteinte aux prérogatives du grand art, car sa belle humeur n’affecte aucune autre visée que de caractériser spirituellement les principales situations d’une bouffonnerie très bien venue et bien mouvementée.
Je ne citerai, parmi les morceaux qui ont retrouvé le plus vite l’oreille du public, que le finale :
J’entende un bruit de bottes,
coupé par le choeur célèbre des carabiniers dont le comique est irrésistible.
Lorsque les Brigands parurent pour la première fois sur la scène de Variétés, Ie 10 décembre 1869, les principaux rôles appartenaient à MM. Dupuis, Kopp, Léonce et Mmes Zulma Bouffar et Aimée. M. Léonce seul conserve son personnage du caissier, dans lequel on l’aurait difficilement remplacé. M. Léonce n’est pas bon tous les jours, ni à toute sauce mais ce soir il était en verve, et s’est fait très justement applaudir dans les couplets
Hélas ! j’ai mangé la grenouille !
comme dans sa scène avec Falsacappa scène qui, pour le dire en passant, vaut la meilleure plaisanterie de Robert Macaire ou des Saltimbatiques.
M. Christian succède à M. Dupuis, mais il ne le remplace pas. La partie de tenorino, confiée au chef de brigands, disparaît complètement et fait trou dans la partition. M. Dupuis nuançait les bouffonneries de Falsacappa, avec une réserve discrète et une sorte de fine ironie, qui sont lettre close pour la gaîté un peu commune de M. Christian. Bon acteur, d’ailleurs, animant la scène, la remplissant à lui seul, au besoin, M. Christian a son public, qui ne lui manquera pas.
Madame Peschard est une chanteuse avant d’être une actrice ; la chanteuse a montré hier sa supériorité ordinaire, en faisant valoir, avec un art exquis, une mélodie espagnole, une malaguena, que Jacques Offenbach a sauvée pour elle du naufrage de Maitre Péronilla.
Madame Grivot ne possède pas la voix vibrante ni la science de madame Zulma Bouffar, mais elle est gaie, intelligente et spirituelle on lui a fait bisser les couplets du « Courrier de cabinet. »
M. Grivot, qui a du naturel, ne fait pas regretter Kopp dans le rôle de Pietro.
Auguste Vitu.