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Propos du jour

Le Figaro – Jeudi 5 janvier 1865

Des hommes ferrés sur la littérature, assure-t-on, ce sont MM. les musiciens du théâtre des Variétés.

Voici un mot de l’un d’eux, recueilli par Jouvin, à la première de la Belle Hélène :

UNE FLUTE, à un violon. – Qu’est-ce qu’elle veut donc dire, cette Hélène, quand elle dit à Achille « Vous marivaudez ? »

LE VIOLON. – Marivauder ? Connais pas.

UN VIOLONCELLE. – Je le sais, moi. Ça vient de Marivaux.

PLUSIEURS VOIX. – Qu’est-ce que ça, Marivaux ?

LE VIOLONCELLE. – Je vas vous dire, mes enfants Marivaux, c’était un auteur très moral. Il n’était peut-être pas aussi amusant que M. Ludovic Halévy, mais il n’aurait pas fait des cascades comme celles-ci. Ses scènes d’amour, à lui, sont toujours très convenables des mots mesurés et respectueux pour la personne, pas de gestes. Si bien que maintenant, quand on voit un amoureux un peu transi, qui traîne sa déclaration, on dit qu’il marivaude, qu’il fait du marivaudage. Voilà.

Cette petite leçon a été écoutée dans un profond recueillement. Le violoncelle fera d’excellents élève

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Dû reste Timothée Trimm instruit le peuplé, son grand- élève, dans les plus pures doctrines, dans les meilleurs principes littéraires.

Un exemple :

Timothée a mené le peuple à la Belle Hélène.

Il lui a expliqué la pièce, ll lui a dit ce qu’étaient Achille, Agamemnon, Ménélas, et lui a fait admirer la « chlamyde » de mademoiselle Schneider.

Mais il s’est bien gardé, tout en battant des mains, d’approuver lei style de MM. Ludovic Halévy et Meilhac. Le peuple n’aurait qu’à écrire comme ça !

Non ! non ! Timothée gémit sur les cocasseries que ces littérateurs éhontés ont mises dans la bouche des héros de l’Iliade.

Et quand il a fini son compte-rendu, il s’écrie douloureusement :

– Et maintenant qu’on me permette de me lever... d’aller à ma bibliothèque... et de relire mon vieil Homère.

Lisez, lisez, Timothée Trimm.

Mais que disait donc M. de Villemessant, l’autre jour, que Timothée ne savait pas plus de latin que lui ?...

Puisqu’il lit le grec !...

Lisez votre grec au peuple, Timothée, et confondez M. de Villemessant ! – Mais surtout, n’oubliez pas de le couper, votre vieil Homère !

Jean Rousseau.

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