C’est ce soir que le maestro Jacques Offenbach rouvre au public les portes du théâtre de la Gaîté. Mes confrères vous diront leur avis sur la valeur du premier ouvrage : le Gascon, et sur les magnificences de la mise en scène. Je n’ai à vous parler que des efforts faits par le nouveau directeur pour satisfaire matériellement, le public.
Tout d’abord, comme vous le savez, le. théâtre a été absolument remis à neuf. Il est éblouissant de dorures, et le confortable y a été soigné par d’intelligents sybarites. Sous le velours rouge des sièges, des mains vigilantes ont insinué un crin moelleux. On y était fort bien déjà sous la direction précédente, et c’est par un excès de prévenance qu’on a passé en revue ce matériel réputé l’un des meilleurs de Paris.
Mais une innovation des plus heureuses ; c’est la suppression du plafond lumineux, et son remplacement par un lustre, dont les feux, répandant sur le balcon une vive lumière, permettront aux spectatrices de faire valoir leurs toilettes. Rien n’était triste comme l’éclairage de ce théâtre, rien n’est plus gai que ce lustre et que les nombreuses girandoles suspendues aux grands étages des galeries.
Cette transformation a permis d’installer dans la salle un système de ventilation très réussi. L’air est appelé de bas en haut par les cintres, jadis lumineux, qui entourent le plafond, et ces cintres, qui alors étaient des foyers de chaleur, deviennent les auxiliaires d’une puissante et salutaire ventilation. C’est là un progrès réel, dont les spectateurs du Gascon vont ressentir les précieux avantages. Vienne l’hiver, et l’on verra que la question du chauffage a été traitée avec la même intelligence et le même soin.
Je note en passant que les loges, resplendissantes dans leur tapisserie rouge semée d’arabesques d’or, ont été pourvues de patères pour les chapeaux, et sont garnies de tapis haute laine. Le bruit des sièges qu’on change de place n’incommodera plus les spectateurs.
On ne se plaindra plus, ni bruyamment, ni tout bas, des ouvreuses, attendu que les erreurs de placement sont devenues impossibles, grâce à une très ingénieuse innovation. Le coupon de chaque spectateur a un talon, séparé du billet par une ligne de points à jour. L’ouvreuse garde le coupon et laisse le talon aux mains du spectateur, qui possède ainsi la preuve de son droit d’occuper sa place.
Il est assez difficile d’expliquer comment on a pu établir a chaque étage, de petites dépendances indispensables dont le confort, ne laisse rien à désirer. On sera heureux d’apprendre, en cette saison, que, pendant les entr’actes, les spectateurs pourront aller fumer une cigarette dans le square des Arts-et- Métiers, dont la grille, située en face des portes du théâtre, restera ouverte jusqu’à la fin du spectacle. C’est une gracieuseté de l’administration municipale envers la nouvelle direction.
Enfin, on ignore généralement que le théâtre de la Gaîté est pourvu de sorties très commodes et très spacieuses, et de larges escaliers descendant de toutes les places vers les issues. L’ancienne direction, – par économie de personnel, – n’utilisait pas ces vastes dégagements, que la direction nouvelle va, dès aujourd’hui, ouvrir au public à la fin de la soirée.
Tel est le programme, très fidèlement suivi, des améliorations qui doivent signaler la prise de possession de ce beau théâtre par M. Jacques Offenbach.
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De l’autre côté du rideau on a aussi bien fait les choses. Deux foyers ont été construits pour les danseuses et les çhoristes, ce qui montre l’intention bien arrêtée où l’on est de toujours agrémenter lés pièces de musique et de danse. L’orchestre, toujours conduit par M, Albert Vizentini, sera plus où moins nombreux, selon les cas. Le petit mur de bois qui sépare les spectateurs de l’espace réservé aux musiciens est mobile, afin d’agrandir ou de rétrécir à volonté cet espace. Toutefois, le nombre des instrumentistes sera toujours de quarante au moins.
M. Tréfeu est le bras droit du maëstro. MM. Emile Taigny, directeur de la scène, Vazeilles, régisseur général, Eugène Godin, chef machiniste, et Baudu, premier régisseur, ont été légués par l’ancienne direction à la nouvelle, et on sait que cet excellent personnel a su monter les plus éblouissantes féeries. M. Fuchs Taglioni est chargé de diriger la troupe de danse, composée de quatre premières danseuses, quatre secondes, et quarante dames dont dix Anglaises et dix Italiennes. Enfin, MM. Robecchi, Cambon, Chéret, Fromant et Lavastre ont peint ou sont en train de peindre les trente grandes décorations du Gascon, de Jeanne d’Arc et d’Orphée aux enfers.
Telles sont les indiscrétions qu’il m’est possible de commettre sans marcher dans les plates-bandes de mes collaborateurs du compte rendu.
Alfred d’Aunay.