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Théâtre des Bouffes-Parisiens

Revue et gazette musicale de Paris – 24 mai 1874

Bagatelle, opérette en un acte, paroles de MM. H. Crémieux et E. Blum, musique de M. J. Ofenbach. — Première représentation le 21 mai.

Mademoiselle Bagatelle est soucieuse ; elle, la diva du Concert de Momus, l’idole de son public, elle a été sifflée. Oui, sifflée ! Ses admirateurs ont réparé l’outrage, couvert la chanteuse de fleurs, fait une ovation à leur protégée, tout cela est vrai, mais elle a été sifflée, et, sans un jeune homme qui a souffleté les siffleurs, et entraîné les applaudissements on ne sait ce qui serait arrivé. Rentrée chez elle, elle renvoie sa femme de chambre, et se met à rêver. A qui ? Aux siffleurs, ou à son courageux défenseur ? Je ne sais, et cela ne me regarde pas ; mais pendant qu’elle rêve, la fenêtre s’ouvre, et, comme un galant Espagnol, un Lovelace imberbe s’introduit par le balcon. — « Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? — Oh ! peu de chose ; votre amitié. » Il est bien timide, notre jeune homme, bien soumis, mais on sait ce que vaut l’amitié d’un monsieur qui s’introduit à minuit par les fenêtres. Bagatelle reconduit doucement ; il obéit, mais dans l’escalier, il s’arrête, revient sur ses pas, rentre chez Bagatelle. Palsambleu ! on est un homme, on a dix-huit ans, on ne se laissera pas éconduire de la sorte ; voilà mon petit drôle fermant les portes, jetant les clefs par la fenêtre, s’ établissant dans les fauteuils et racontant ses prouesses amoureuses ; puis, s’enhardissant, il devient impertinent. Il est riche, il s’appelle Georges de Planteville, il a bien le droit d’être un peu régence. Bagatelle ne goûte que très-médiocrement cette petite scène historique, et puisque notre jeune amoureux ne peut plus sortir par les portes, elle saura bien le faire sauter par les fenêtres. Armée d’une cravache, elle prépare son coup d’Etat ; la fenêtre est ouverte, les draps sont noués, tout est prêt, il faut s’exécuter... Mais Bagatelle a compté sans les sergents de ville. Intervention de ces derniers, rentrée de Georges dans l’appartement, crise de nerfs de Bagatelle. A la guerre comme à la guerre, et puisqu’il faut finir la nuit en compagnie de ce jeune homme, notre chanteuse prend ses dispositions pour rester sur la défensive. Mais on dort mal dans un fauteuil ; il faut étudier la romance du jour ; on finit par s’expliquer... Georges n’est autre que le défenseur de Bagatelle, et je laisse à penser si celle-ci a encore envie de lui fermer sa porte ; bref, tout finit pour le mieux.

Parlons pour mémoire d’un joueur de clarinette amoureux de la femme de chambre ; il passe tout son temps à chercher des issues pour fuir, et représente l’élément comique de la pièce.

Ce n’est qu’un acte, et il est fort ingénieusement tourné, mais il a le tort d’être un peu trop long, comme toutes les pièces qui n’ont en réalité qu’une scène.

Après quelques coupures, ce vaudeville, rempli de mots spirituels, sera une des meilleures opérettes du répertoire des Bouffes-Parisiens.

Sur le libretto de MM. Crémieux et Blum, M. Offenbach a écrit une musique charmante. Peu ou pas de bouffonnerie, mais beaucoup d’élégance et de grâce. Elle n’est ni longue ni prétentieuse, et suit d’un pas allègre tous les mouvements de la pièce. Les couplets « Comme tout être politique », avec leur comique accompagnement de clarinette, ceux de « l’Amitié » et la charmante chanson de Javotte, la soubrette, ont été bissés. Cette chanson, le vrai succès de la soirée, est enchâssée dans un duo-trio qui termine la pièce et qui est un des morceaux d’Offenbach les mieux en scène et les mieux coupés. Le duo des clefs est fort spirituellement fait, et l’épisode du jeu de la pincette, petits couplets à deux voix, plein d’animation et de vie, a été fort remarqué. Finissons en citant un rondeau, du meilleur Offenbach ; c’est lestement tourné, c’est vif et mélodique, et Mme Grivot l’a fort bien détaillé.

Mme Judic joue le rôle épineux de Bagatelle. Il est impossible de dire jusqu’à quel point elle est fine et charmante : physionomie, voix, regard, tout est vrai, tout est juste dans cette artiste ; son succès a été très-grand, et chacun voudra l’entendre faire le récit de son accident. Mme Grivot est peut-être un peu maniérée, mais elle a fort bien joué le rôle du jeune Planteville. Edouard Georges est amusant ; à la vérité, il l’est toujours de la même manière, et on désirerait le voir un peu changer.

Au résumé, Bagatelle est un succès des plus accentués et des mieux justifiés.

H. Lavoix fils.

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